samedi 8 mars 2008

Y a-t-il des choses qu’on ne peut pas dire ?

Y a-t-il des choses qu’on ne peut pas dire ?

- Voilà une question à double sens, selon qu’on prendra le verbe « pouvoir » dans le sens de « avoir la capacité » ou bien dans celui de « avoir la permission ».

Je prendrai comme point de départ la première formulation, espérant retrouver la seconde en cours de route.

Avons-nous donc la capacité de tout dire ?

Les sciences humaines sont en désaccord ici : là où la linguistique répond par l’affirmative, la psychanalyse répond par la négative.

Du point de vue linguistique, les langues humaines dans leur diversité doivent permettre de tout dire, entendez : tout ce qui peut constituer un sens, une pensée, et pas uniquement une information. La seule limite est la longueur de l’énoncé nécessaire : sans doute ce qui relève d’une expérience unique requiert une longue explication à l’opposé de la simple allusion pour l’information déjà connue.

Par contre les psychanalystes considèrent que la parole est sous l’influence de la censure et que par là elle n’est pas libre : il y a des choses qu’on n’a pas la permission de dire, et c’est pour cela qu’on est incapable de le faire.

C’est ici que l’on trouve la jonction entre nos deux sens :

- si l’interdit est politique, alors ces deux aspects sont dissociés. Spinoza constatait qu’on ne peut jamais gouverner les esprits comme on gouverne les langues (1). Il en résulte que chacun est toujours en pouvoir de dire ce qu’il pense, si toutefois le pouvoir politique ne l’en empêche pas. Ici, l’interdit arrive trop tard : il porte sur des pensées déjà constituées.

- Par contre on peut imaginer que l’interdit, contrairement à ce que prétend Spinoza, porte sur la pensée qui ne s’est pas encore formée, celle que d’autres peut-être on imaginée, mais qui ont machiné la langue de telle sorte que moi je ne puisse le faire.

Freud avait débusqué ce mécanisme dans le vocabulaire donné aux enfants, dans le quel tous les mots désignant le sexe étaient soigneusement étaient remplacés par ceux qui désignent la fonction excrémentielle : ainsi en allemand, le « fait-pipi » pour désigner le membre du petit garçon- cas du petit Hans dans les Cinq psychanalyses (2).

La jouissance n’existe pas, parce qu’il n’y a pas de mots pour dire ça. Voilà une thèse fort discutable, puisque le Petit Hans comme on l’a dit (note 2) ne se privait pas de se donner du plaisir, mais dont on admettra ici qu’elle suffit pour répondre à noter question :

--> ce qu’on ne peut pas dire, c’est ce qu’on ne sait pas dire ; et c’est alors aussi ce qu’on n’est pas capable de penser.

(1) Par deux fois dans le Traité théologico-politique ch XX, Spinoza cite cette maxime de Quinte-Curce : « On ne commande pas aux âmes comme on commande aux langues ». Voir un extrait de ce texte ici

(2) L’interdit portait aussi sur le tripotage du membre assorti d’une menace de castration : voir une évocation du texte de Freud ici

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