mardi 18 août 2009

Est-ce qu'être poli c'est être hypocrite ?

Bonjour Docteur Philo!

J'ai une question perturbante:

Est-ce qu'être poli, c'est être hypocrite?

Où sont les limites entre la politesse et l'hypocrisie?

La boite à question


Bonjour, honorable correspondant. Que le ciel vous soit favorable et que vos souhaits se réalisent.

C’est ce que le Docteur-Philo va s’efforcer de faire pour vous.

1 – La politesse comme code social

- L’idée que la politesse pourrait être une forme de calcul hypocrite signifie qu’il serait moralement recommandable d’être impoli avec certaines personnes, et que le calcul intéressé propre à l’hypocrisie serait ce qui dénature la véritable politesse.

On citera alors Alceste, le misanthrope de Molière qui s’emporte en effet contre la lâcheté des courtisans qui avec une prudente politesse dissimulent leur pensée véritable sous des compliments hypocrites. La politesse peut donc être le manteau de respectabilité qui recouvre en fait l’hypocrisie.

- Toutefois, on serait tenté aussi d’opposer à cela la politesse obéissant à une norme culturelle et sociale, un peu comme le bourreau chinois qui fait mille courbettes à celui qu’il va découper tout vif en 120 morceaux. Personne ne dira de lui qu’il est hypocrite, mais on admirera la rigueur de la norme sociale qui s’impose jusque dans ces cas extrêmes.

2 – La politesse est vertu morale (respect d’autrui) :

Kant fait du respect d’autrui la reconnaissance de sa valeur en tant qu’être humain. Le respect étant l’effet produit sur nous par la valeur suprême d’autrui dans la morale, la politesse serait alors la marque la plus courante de ce respect, à condition bien sûr d’être consentie et non imposée par l’usage.

3 - Où sont les limites entre la politesse et l'hypocrisie?

Entre la politesse et l’hypocrisie, la différence serait donc dans la sincérité, ou mieux : dans l’absence ou la présence de second degré. La politesse est sans calcul ni arrière plan : comme on dit, elle est ce qu’on ne peut refuser, elle est la moindre des choses. L’hypocrisie serait dans le domaine de la politesse, une affectation, quelque chose qui répond à un calcul d’intérêt.

On pourrait alors dire qu’on est trop poli pour être honnête comme le suggère le proverbe.

4 – Un monde sans politesse est-il souhaitable ?

On rappellera la fable des porcs-épics de Schopenhauer (à lire ici) ; la politesse est ce qu’on a trouvé de mieux pour se supporter les uns les autres. A la limite, un monde sans politesse serait

a - soit une communauté fusionnelle, faite de porcs-épics sans piquants ; j’ai, selon Kant, avec le respect de l’humanité, le devoir d’aimer les hommes – tous ceux du moins qui laissent s’exprimer leur humanité (les autres ayant tout de même droit, comme on l'a dit, à la politesse).

b - soit un monde sans frictions parce que toutes les aspérités auraient été gommées. Autant dire qu’on aurait des robots ou des clones. Ce serait une société qui aurait été jusqu’au bout des conflits possibles et imaginables, transformant ses blocs râpeux des individus en galets parfaitement lisses. Mais comme le dit Bergson, il faudra bien des guerres pour y parvenir.

dimanche 2 août 2009

Peut-on désobéir aux lois ?

L’avantage de cette question est d’avoir été posée depuis un très lointain passé – avec Antigone par exemple – et de se poser encore aujourd’hui, où la loi Hadopi va transformer en délinquants les innombrables téléchargeurs du Net.

L’inconvénient, c’et qu’on a l’impression d’être coincé par l’impossibilité de répondre affirmativement : une loi à la quelle on pourrait désobéir impunément n’en serait plus une.

La loi en effet, à la différence de la règle, n’admet pas d’exception, et nul ne peut être au-dessus des lois, sauf à se situer dans le règne de la nature, c'est-à-dire des rapports de force : la « loi » de la jungle.

Alors : Antigone serait une rebelle que Créon aurait raison de châtier, n’en déplaise aux Dieux ?

Evidemment non : car Antigone se réclame d’une loi – la loi divine – qui veut que son frère ait des funérailles, et cette loi est supérieure à la loi de la Cité défendue par Créon.

--> 1ère idée: il y a une hiérarchie des lois : les lois doivent être cohérentes entre elles, et quand deux lois sont en contradiction, celle qui relève d’une légitimité supérieure l’emporte sur l’inférieure.On peut donc désobéir à celle-ci si c'est la condition pour obéir à celle-là.

Reste à savoir la quelle est supérieure et la quelle est inférieure ?

Reste surtout à savoir s’il y a des cas où toutes les lois sont sur le même plan, impliquant donc qu'on ne peut pas désobéir à la loi en se réclamant d'une légitimité supérieure.

--> 2ème idée : tous les législateurs prétendent être uniques, et quand ce n’est pas le cas, ils prennent le système de lois supérieures comme préambule à leur constitution. Ainsi font tous les régimes qui ne sont pas laïques avec les lois divines ; ainsi faisons-nous avec la Déclaration des droits de l’homme.

Comme toutes ces lois sont parfaitement définies et codifiées, il n’y a en principe pas de problème.

… Sauf que le problème se repose quand même : au niveau de l’interprétation des faits, et donc de l’application de la loi.

--> 3ème idée : on peut tenter de prouver qu’on ne désobéit pas aux lois malgré les apparences.

Voyez les téléchargeurs du Net : ils ne crient pas « A bas la propriété privée ! ». Ils disent simplement que leurs pratiques ne spolient pas les artistes puisqu’ils n’auraient de toute façon pas acheté leur enregistrement au prix pratiqué. Ils ne font que redresser une injustice – comme Robin des Bois, ils ne font que voler les voleurs.