lundi 24 novembre 2008

Qu’est-ce qu’une citation ?

Cher docteur philo, ma question est beaucoup plus simple que celle des précédants commentaires mais je ne peux m'empêcher de me la poser depuis que je lis votre blog : " A partir de quel moment peut-on distinguer une citation d'une phrase comme une autre? Il est bien évident que les citations manient des concepts mais après tout, s'il on formulait de manière plus recherchée certaines phrases ne pourrions-nous pas apparaître dans les feuilles roses d'un dictionnaire ? Les citations sont-elles uniquement réservée aux personnalités disposant d'une certaine notoriété ?
La boite à questions

Il s’agit bien sûr du Blog de mon alias intitulé La citation du jour. Excelllllente lecture !
La question porte sur la notion de citation, son contenu et ses limites.
Le premier point porte sur la définition : une citation n’est autre qu’un texte extrait d’un texte plus long et surtout – c’est essentiel – écrit par un autre auteur, généralement référencé et indiqué comme tel.
N’importe quel texte peut-il servir à faire une citation, ou bien faut-il
1) Une certain contenu (des « concepts » comme il est dit ici)
2) Etre un auteur d’une certaine notoriété ?
Bien entendu on devine derrière ces présupposés un usage de la citation que je qualifierai de « scolaire » comme quand on dit que pour faire une dissert de philo il faut des citations – de philosophes, bien sûr (certains de mes élèves allaient jusqu’à inventer des citations adaptées à leur propos, qu’ils attribuaient faussement à un philosophe : c’est très mal).
Donc :
1 – Comment distinguer une citation d’une phrase quelconque ? Et en particulier faut-il un contenu conceptuel particulier ?
Beaucoup de textes peuvent devenir des citations il suffit pour ça qu’ils soient … cités.
Simplement si on produit une citation, c’est pour obtenir un certain effet de la part de l’auditoire : d’où l’importance de la notoriété. Ou bien – et c’est là la véritable raison d’être des citations – parce qu’on n’a pas trouvé mieux pour dire ce qu’on pense ; ou même – mieux encore – parce qu’on n’a commencé à penser ce qu’on dit qu’à partir du moment où on a découvert la citation en question. Et là c’est au contenu qu’il faut faire appel.
Seulement pourquoi faudrait-il que ce contenu soit conceptuel ? On cite très régulièrement des poètes, et il n’est pas dit qu’ils utilisent des concepts.
2 – Quant à la notoriété de l’auteur, on a vu qu’elle n’a pour intérêt que d’en imposer, à moins que l'effet recherché soit la mise en perspective dans le contexte de l’œuvre. Si je cite Descartes ou Céline, il est clair que c’est pour mieux situer la pensée évoquée dans un certain contexte et que chacun pourra restituer grâce à sa culture. Et ainsi :
--> citer, c’est faire appel à la culture de l’auditeur ; à moins que ce ne soit que pour en souligner l’absence : c’est l’usage « terroriste » de la citation – à éviter).
Je dirai donc qu’il est complètement idiot de citer un auteur rien que pour sa notoriété (voir les citations de Le Clézio, Post du 24 octobre 2008). Simplement, si comme on l’a vu le contenu de la citation n’est pas forcément conceptuel, il doit être néanmoins exemplaire.
3 – La citation du jour mettra le 27 novembre prochain en ligne un post où l’un découvre des hommes célèbres faisant des citations : Montaigne cite Plutarque, Charron cite Montaigne, Descartes cite et Montaigne et Charron. On y verra l’usage que chacun fait de la citation qui en principe est au départ la même. On verra que la citation n’est pas une caution apportée à une pensée un peu trop timide pour affronter tout seule le jugement de ses censeurs.

mercredi 19 novembre 2008

Fait-on le bien pour soulager sa conscience ?


Cher docteur philo,
Je vous consulte afin d'obtenir un semblant de réponse à mes questions, qui, somme toute sont d'une banalité assez désopilante : […] "choisit-on d'accomplir de"bonnes actions" afin de soulager notre conscience ?"

La Boite à questions

Choisit-on d'accomplir de « bonnes actions » :

1er présupposé : en présence du bien, on a le choix de le faire ou de ne pas le faire.

C’est ce que disait Médée : Video meliora proboque, deteriora sequor (Je vois le bien et je l'approuve, et c'est au mal que je me laisse entraîner) – Ovide, Les Métamorphoses, Livre septième (1)

C’est donc que le bien n’a pas un poids suffisant pour déterminer l’action : il faut une cause supplémentaire.

Mais si cette cause existe, et qu’elle n’est pas le bien, est-elle le mal ? Est-on dans l’alternative : ou le Bien – ou le Mal ?

Si c’est le Mal qui nous détermine, alors on pourrait dire en effet que le bien nous sert à soulager notre conscience : tantôt je jouis de faire le mal ; tantôt je me rachète en faisant le bien. Et donc quand je fais le bien, j'ai quand même la petite jouissance vicieuse qu'est l'égoïsme et l'amour de soi. Tout La Rochefoucauld est là. Et le soulagement de la conscience aussi.

Mais on pourrait objecter alors qu’il n’y a pas un bien, mais plusieurs. Ainsi, il y aurait le bien des « bonnes actions » définies et balisées par l’ordre moral. Et puis il y aurait le bien de l’individu, celui qui coïncide avec son mérite, et non avec la médiocrité des actions que tous peuvent accomplir. C’est ainsi que Raskolnikov réclame le droit au crime : Si un jour, Napoléon n’avait pas eu le courage de mitrailler une foule désarmée, nul n’aurait fait attention à lui, et il serait demeuré un inconnu.

Pour la suite sur le bien unique, voir ce post.

afin de soulager notre conscience ?

2ème présupposé : il y a un rachat possible.

Si je fais le mal, je me rachète en faisant une « bonne action ». C’est ainsi que les piétistes pensaient que Dieu devait ouvrir son paradis à tous ceux qui auraient accompli des actions vertueuses au cours de leur existence, quelque soit leur corruption morale par ailleurs.

Objection : on le sait, cette idée n’a pas eu cours chez tous les chrétiens. Les uns prétendent que le repentir est nécessaire, autrement dit que la bonne action ne rachète rien du tout. D’autres (les Jansénistes) estiment même que Dieu seul peut décider en toute souveraineté du rachat, autrement dit qu’on ne peut absolument pas soulager sa conscience, mais simplement accomplir des bonnes actions au cas où Dieu aurait la volonté de nous sauver.

Conclusion de Docteur-Philo :

--> Il y a quelques jours, quelqu’un me demandait : à quoi ça sert la vertu ?

J’ai répondu : la vertu ça sert à être heureux, c'est-à-dire à mériter « l’estime raisonnable de soi ». Estime qu’on s’attribue à soi même pour des bonnes actions, reconnues par nous comme telles.

S’il y a rachat, que je me débrouille avec ma conscience, soit. Mais ça doit être raisonnable, c’est à dire justifiable.

Si c’est Dieu qui décide de ce qui est vertueux ou vicieux, et s’il nous rachète à condition que nous ayons fait de bonnes actions, alors celles-ci entrent dans la morale par la petite porte. Elles n’ont pas plus d’importance que la pénitence au terme de la confession. Tu feras l’aumône aux pauvres – ou alors tu diras trois paters et deux aves.



lundi 17 novembre 2008

Est-il nécessaire de trouver un sens à sa vie pour la vivre pleinement ?

Cher docteur philo,
Je vous consulte afin d'obtenir un semblant de réponse à mes questions, qui, somme toute sont d'une banalité assez désopilante : tout d'abord : "Est-il nécessaire de trouver un sens à sa vie pour la vivre pleinement ?" et "choisit-on d'accomplir de"bonnes actions" afin de soulager notre conscience ?"

La Boite à questions

(Docteur-Philo prend aujourd’hui en considération la première question)

Le 31 mars 2008, Docteur-Philo publiait un Post intitulé : Quel est le sens de la vie ?

Au cours du débat qui suivit, se dégagea l’idée que le choix du sens de la vie est consubstantiel à la vie, autrement dit que même si on refuse ou on « oublie » de choisir on le fait quand même par défaut.

Ça veut dire :

1 – Si nous ne trouvons pas de sens à notre vie, alors elle est absurde.

L’absurdité de la vie réelle (« je ne l’ai pas voulue », ou bien : « personne en m’a écouté quand j’ai dit que je voulais être rock-star ou danseuse étoile ») n’est en fait que le corrélat de ma lâcheté ou la conséquence de choix que je n’ai pas su tenir jusqu’au bout. Nous sommes responsables de ce que nous sommes devenus (voir ci-dessous).

2 – Vivre pleinement, c’est se reconnaître dans les choix qu’on a faits et dans ceux qu’on peut encore faire. Mais il faut tenir compte du coefficient de résistance du monde. Il est clair que pour un petit gars des quartiers, la vie ne se présente pas pareille que pour un fiston de Neuilly.

Ce qui compte, et là encore je me réclame de Sartre, mais c’est un choix sans doute parmi d’autres possibles, c’est ce que j’ai réussi à faire avec ce qu’on à fait de moi.

C’est donc l’estime raisonnable de soi (Kant) qui est la mesure de la réussite de ma vie.

vendredi 14 novembre 2008

D'où vient l'amour ?


Depuis quelques temps je me pose une question d'apparence simple: Est-il possible d'aimer, si on n'a jamais reçue d'amour nous même? A l'inverse, est-il possible d'aimer si on n'a connue que l'amour?

Enfin, je me demandais s'il était possible de généraliser ces questions à d'autres sentiments/notions.

Ces questions sont en partie liées à la maltraitance des enfants (par exemple): comment un enfant maltraité devenue adulte pourrait ne pas refaire ce qu'il a subit plus jeune.

La boite à questions


D’où vient l’amour ? Faut-il avoir été aimé pour aimer à son tour ? Faut-il savoir ce que c’est que la haine pour savoir ce que c’est que l’amour ?


Voilà un maquis de questions bien rebutant... Et en plus ces questions portent sur l’amour, sentiment dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’il désigne des situations ou des affects hétérogènes – très hétérogènes même…

Tout cela rebuterait qui conque s’y attellerait, mais pas Docteur-Philo. Lui, il n’a pas peur : il y va à la machette.

La question de l’origine de l’amour est de celles qui intriguent depuis la plus haute antiquité : les grecs et les latins ayant décrété que c’est un petit Dieu (Éros ou Cupidon) qui plante la flèche de l’amour, il est clair qu’il n’est pas besoin d’avoir appris à aimer, ni même de justifier des vertus de l’être aimé. C’est comme ça et voilà tout.

Mais nous, qui ne croyons plus à l’origine surnaturelle de nos passions, nous ne sommes pas plus avancés pour autant. Heureusement le Docteur Sigmund est là qui nous vient en aide. (1)

--> Or donc, sachez que l’amour est comme un tunnel qu’on creuserait par les deux bouts en même temps. Il est clair que celui qui creuse le plus vite est aussi celui qui occupe le plus de terrain. Par un bout, l’amour est l’œuvre de la libido (ou si vous préférez de la sexualité). Par l’autre, il est l’œuvre de la tendresse, sentiment hérité de la sensation de sécurité et de confort apporté par la mère – ou celle qui en tient lieu – au nourrisson.

Il y a deux expériences de l’autre qui sont requises ici :

1 – celle de l’inefficacité de l’autoérotisme et de la nécessité d’en passer par le corps du partenaire.

2 – celle que fait tout nourrisson du bienfait apporté par la mère. Bienfait qui sera retrouvé dans la relation amoureuse sous forme de tendresse, qui se développe en marge de la sexualité – les caresses deviennent alors du nursing.

Donc, si l’on récapitule, plus vous avez envie de sexe, moins vous aurez de tendresse. Plus vous aurez de tendresse, moins le sexe aura d’importance.

Bien entendu dans tout, ça pas trace de contraste de sentiment. L’amour n’a pas besoin de contre champ pour être visible.

Quoique… Là encore le Dr. Freud nous invite à plus de circonspection.

On a admis plus haut que la libido n’avait pas à être enseignée, elle est en nous primitivement : c’est la pulsion de vie. Mais en réalité elle n’est pas toute seule. Elle est accompagnée de sa sœur jumelle : la pulsion de mort. On peut aussi les appeler Eros et Thanatos : ça sonne mieux.

Pour éviter les interprétations hâtives (l’instinct de mort, Mesrine…) disons que la pulsion de mort est la tendance qui nous pousse à jouir de la destruction, du démembrement, de l’éparpillement de ce qui a été construit, de ce qui est organisé. La guerre en est un exemple. Le petit enfant qui piétine sur la plage avec des cris de joie le château de sable du voisin en est un autre.

La pulsion de vie quant à elle fonctionne à l’inverse : elle tend à accroître sans cesse les dimensions, ou l’importance de ce qui existe, et donc la procréation sous toutes ses formes fait partie de cette tendance. La libido n’en est qu’une forme parmi d’autres.(2)

Dernier point : Eros et Thanatos sont conjointement à l’œuvre dans nos actes d’amour ou de haine. C’est ce qu’on nomme l’ambivalence des sentiments. L’amour que nous portons à un être résulte du refoulement de la haine que nous éprouvons aussi pour lui. Et réciproquement.

Donc l’enfant maltraité, qui maltraite aussi devenu adulte, est simplement un être qui a appris qu’on n’a pas à refouler son désir de destruction.

Dur…


(1) Freud – Trois essais sur la théorie de la sexualité.

(2) Outre l’union sexuelle qui accroît effectivement notre corps par la possession du corps de l’autre (« la bête à deux dos » dira Rabelais), il y a la procréation de la famille ; mais il y a aussi le cercle des amis, ou le développement d’une association, etc…

mardi 11 novembre 2008

Qui sont les étrangers ?


Aux termes de l’ordonnance du 2 novembre 1945, toujours en vigueur, sont considérés comme étrangers « tous les individus qui n’ont pas la nationalité française, soit qu’ils aient une nationalité étrangère, soit qu’ils n’aient pas de nationalité » (art. 1).

Autrement dit, l’étranger c’est celui qui réside normalement de l’autre côté de la frontière.

La réponse juridique comme toujours est d’une simplicité confondante, mais elle ne sert pas vraiment pour démêler la complexité des attitudes réelles vis-à-vis de ceux qui sont considérés comme étrangers.

Si on s’en tenait là en effet on se contenterait de donner une caution juridique aux propos de nos concitoyens qui affirment que nous sommes chez nous, et que quand quelqu’un vient sonner à notre porte, nous pouvons refuser de lui ouvrir ou le mettre dehors s’il est déjà dedans.

Mais on sait bien que tous les étrangers ne le sont pas au même degré. Et que les citoyens français ne sont pas tous aussi français les uns que les autres…

Il faut donc comprendre quelle est notre attitude vis à vis de l’étrangeté, pourquoi le rejet, parfois violent, de ceux qu’on ne veut pas considérer comme nos semblables est cautionné par ce jugement : « ce sont des étrangers. »

--> Les racistes se reconnaissent au fait qu’ils estiment que certains sont par nature des étrangers, entendez qu’ils le resteront toujours quelque soit leur position sociale, quelle que soit leur nationalité. On en a entendu quelques uns, américains blancs qui considéraient que les noirs ne seraient jamais vraiment des citoyens américains.

Pour ces gens là, c’est la nature qui fait les étrangers. Il faut dire aussi que dans les cas les plus radicaux, l’étranger est le non-humain, comme l’a été le juif, le nègre, l’indien. La limite qui sépare l’humanité de l’inhumanité traverse alors le genre humain en plein milieu.

--> Le plus souvent, les étrangers sont simplement étranges, c'est-à-dire qu’ils n’ont pas la même culture, les mêmes vêtements, les mêmes noms que nous autres.

Il faudrait dire aussi que ces gens sont inquiétants, comme Freud le montre dans son article « Inquiétante étrangeté » – c’est l’Unheimlichkeit – qui qualifie la peur devant la différence.

Le critère qui définit l’étranger est donc psychologique, et on trouve des étrangers partout où sont ceux qui font peur, comme les barbares qui peuplent nos banlieues quand elles sont des zones de non-droit.

[Se rappeler de la réponse de Mac Cain, à une interpellation dans le public lors d’un de ses récents meetings. On lui crie « Obama est un arabe ». Mac Cain répond : « Madame, je dois vous dire que le sénateur Obama n’est pas arabe : c’est un bon père de famille ». Texto.]

--> Au lieu de dissoudre le concept d’étranger dans les relations sociales, certains philosophes en ont fait une conséquence de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus authentique: c’est la réalité humaine (dasein) qui constitue la réalité de l’étranger. Nous sommes tous – en puissance – des étrangers.

- Tel est le cas de Sartre pour qui l’étranger est un homme qui est tenu pour tel par les autres hommes (Cf. Réflexions sur la question juive) : puisque l’homme n’a pas de nature préétablie, que toute sa réalité consiste dans le pouvoir de se choisir lui-même, alors par un retournement caractéristique de cette nature, il peut aussi être défini par les autres (ou plutôt : accepter de se définir comme les autres veulent qu’il soit). Et alors il peut être défini comme le non-homme : c’est ainsi que le juif est celui qui est considéré comme juif par les autres. [Ou encore le petit Momo de La vie devant soi, de Romain Gary, qui ne sait pas qu’il est arabe, parce que personne ne l’a encore insulté.]

--> Être étranger, ce n’est pas avoir une nature particulière, ni même une culture différente des autres, pas plus qu’un aspect physique remarquable (les juifs n’étaient pas forcément reconnaissables, au grand désespoir des Nazis).

Un homme peut m’être parfaitement étranger, si je refuse de le regarder comme un homme, c'est-à-dire comme mon semblable.