jeudi 21 mai 2009

Qu’est-ce qu'un artiste ?

L'autre jours j'écoutais une émission de radio: Eclectik sur France Inter. Et l'invité était
Gianmaria Testa.

Un moment durant l'émission la journaliste utilise le terme "artiste" pour désigner l'invité et lui réponds qu'il n'est pas artiste, que pour lui un artiste c'est quelqu'un qui est capable de montrer quelque chose que personne ne voyait avant lui.
Donc ma question aujourd'hui serait qu'est-ce qu'un artiste ?

La boite à question

Que dit le dictionnaire de Docteur-Philo ?

Artiste :

1 - Sens descriptif : celui qui fait une œuvre d’art

2 - Sens désignant un caractère ou un tempérament : celui qui a le goût des arts

3 - Sens laudatif : celui qui excelle dans un art

4 - Sens péjoratif : personne au comportement bizarre.

On le voit : on aurait plus vite fait de dire ce que n’est pas l’artiste que de dire ce qu’il est.

Si on se borne à la définition suggérée par l’invité Gianmaria Testa, on voit que la définition de l’artiste suit de près celle de l’œuvre d’art. Si l’artiste c'est quelqu'un qui est capable de montrer quelque chose que personne ne voyait avant lui, c’est qu’il produit une œuvre d’art, autrement dit qu’il est un créateur. Toutefois, cette définition a un défaut, c’est qu’elle bénit comme artiste celui qui produit n’importe quelle cochonnerie sous condition que personne n’ait fait – n’ait osé faire – la même chose avant lui. (Voir ici la "merde d'artiste" de Manzoni)

Finalement, le mieux pour définir l’artiste serait de remonter à la plus ancienne conception qu’on s’en est faite, sous réserve qu’elle soit toujours appropriée aujourd’hui.

Ce qui compte de nos jours c’est l’engagement de l’artiste dans son œuvre. L’artiste c’est quelqu’un qui dit de son œuvre : « C’est moi qui l’ait faite », autrement dit, personne ne peut avoir fait la même chose parce qu’elle est une partie de moi-même – à noter que c’était la conception de Hegel pour qui l’œuvre d’art était l’esprit humain fait chose et présenté dans le monde extérieur. A noter encore que ça comporte l’exigence que la création ait un sens : l’artiste qui jette au hasard des taches de peinture sur une toile ne crée par une œuvre, parce qu’elle n’exprime rien de significatif.

L’artiste, c’est donc quelqu’un qui signe son œuvre. Et ça existe depuis la renaissance : c’est ainsi qu’on a dit que Dürer était le premier artiste parce qu’il avait été le premier à signer systématiquement ses œuvres (monogramme A.D.)

dimanche 17 mai 2009

Peut-on s’enrichir sans travailler ?


Docteur-Philo n’est ni un économiste, ni un juge. Il ne s’intéresse ni à la finance, ni aux escroqueries.
Il lui reste les valeurs de la morale, ou plutôt la réflexion sur ce qui les fonde, c’est à dire l’éthique.
Y a-t-il une différence entre les actionnaires et les escrocs ? Si nous mettons de côté les préjugés politiques, la question mérite d’être posée.
Admettons que celui qui travaille s’enrichisse grâce à ça : cet enrichissement a une cause, c’est précisément la production de quelque chose par le travail.
Maintenant demandons ce qui définit l’escroquerie : on dira que c’est un enrichissement sans cause. C’est clair.
Alors, quid de celui qui prête son argent en contrepartie d’un loyer (ou qui achète une action d’une entreprise en contrepartie d’un intérêt et de dividendes).
Deux possibilités :
- soit on estime qu’on est dans une société marchande, où tout peut devenir marchandise – y compris l’argent. Comme vendre de l’argent n’a guère de sens, on peut comme n’importe quel bien l’aliéner à autrui en contre partie d’un dédommagement. L’ouvrier loue ses bras, le capitaliste loue son coffre fort.
Supposons qu'on nous objecte que seul le mérite peut justifier l’enrichissement, et que le riche n'en a aucun. Soit, c'est alors précisément le trader qui a des mérites c'est lui qu’il faut reconnaître et rémunérer en conséquence. Ce qui ne condamne aucunement l'enrichissement par la finance.
Quelle preuve plus forte de cela que la parabole des talents (Matthieu 25.14 – 30 cf le texte en annexe), qui montre qu’il y a de la sainteté à faire prospérer un bien : les bons serviteurs – des ancêtres de Jérome Kerviel – ont-ils fait autre chose que prêter cet argent à des banquiers qui l’ont fait prospérer ? Et quel est leur mérite, puisqu’ils ne l’ont pas produit eux-mêmes. Et quelle est la faute du mauvais serviteur ? "Il te fallait donc remettre mon argent aux banquiers, et, à mon retour, j'aurais retiré avec usure ce qui est à moi" dit la Parabole (Mt 25,27). … "Quant à ce serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres extérieures; là il y aura des pleurs et des grincements de dents." (Mt 25,30). Au fond, même les Évangiles reconnaissent qu’il y a un mérite à gagner de l’argent sans travailler, le mérite consistant ici à discerner les bons banquiers et éviter les Madoff.
- soit on estime que faire le commerce de l’argent est immoral et qu’il faut être juif ou lombard pour que ce soit supportable. L’Eglise considérant sans doute que la parabole des talents n’était par à prendre au premier degré a condamné durant tout le moyen âge le prêt à intérêt. Sauf dans un cas : quand il y avait un risque de ne pas récupérer son argent.
Un exemple : vous êtes un détaillant en drap du 13ème siècle et vous arriver sur une foire de Champagne. Là, vous achetez un lot d’étoffe à un grossiste. Mais pour cela il vous faut emprunter de l’argent car vous n’en avez pas. Le soir, ayant revendu avec bénéfice votre marchandise, vous restituez votre emprunt augmenté de l’intérêt convenu. Celui-ci est considéré comme justifié par l’Eglise, parce que votre bailleur risquait de tout perdre si vous étiez parti avec la caisse ou bien si vous aviez péri avec elle dans un incendie.
Concluons : si l’actionnaire ne travaille pas, du moins risque-t-il de voir son argent partir en fumée dans une crise boursière, ou dans la faillite de l’entreprise.
Il est donc moralement acceptable qu’il touche un intérêt pour sa participation.
La difficulté vient de la répartition entre les travailleurs et les actionnaires. On ne cesse de le répéter, mais ce qu’on oublie souvent de dire, c’est que le problème vient de ce que le capital s’accumule et pas le travail. Je peux prêter une grosse somme d’argent, même à 5%, ça va faire une belle rentrée en fin de mois. Maintenant, je suis un travailleur, je ne peux pas – je ne pourrai jamais – travailler plus que 50 heures par semaine (après c’est le Goulag) et c’est pas avec ça que je vais faire fortune.
Après tout, les bons serviteurs de l’Evangile ne se sont pas enrichis d’autre chose que du droit à continuer de travailler pour leur maître.
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Annexe – Evangile de Matthieu XXV – 14-30

Mt 25,14. Car il en sera comme d'un homme qui, partant pour un long voyage, appela ses serviteurs et leur remit ses biens.
Mt 25,15. Il donna à l'un cinq talents, et à un autre deux, et à un autre un seul, à chacun selon sa capacité; puis il partit aussitôt.
Mt 25,16. Celui qui avait reçu cinq talents s'en alla, les fit valoir, et en gagna cinq autres.
Mt 25,17. De même, celui qui en avait reçu deux, en gagna deux autres.
Mt 25,18. Mais celui qui n'en avait reçu qu'un, s'en alla, creusa dans la terre et cacha l'argent de son maître.
Mt 25,19. Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint, et leur fit rendre compte.
Mt 25,20. Et celui qui avait reçu cinq talents s'approcha, et présenta cinq autres talents, en disant: Seigneur, vous m'avez remis cinq talents; voici que j'en ai gagné cinq autres.
Mt 25,21. Son maître lui dit: C'est bien, bon et fidèle serviteur; parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t'établirai sur beaucoup; entre dans la joie de ton maître.
Mt 25,22. Celui qui avait reçu deux talents s'approcha aussi, et dit: Seigneur, vous m'avez remis deux talents; voici que j'en ai gagné deux autres.
Mt 25,23. Son maître lui dit: C'est bien, bon et fidèle serviteur; parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t'établirai sur beaucoup; entre dans la joie de ton maître.
Mt 25,24. Celui qui n'avait reçu qu'un talent s'approcha aussi, et dit: Seigneur, Je sais que vous êtes un homme dur, qui moissonnez où vous n'avez pas semé, et qui ramassez où vous n'avez pas répandu;
Mt 25,25. c'est pourquoi j'ai eu peur, et j'ai caché votre talent dans la terre; le voici, vous avez ce qui est à vous.
Mt 25,26. Mais son maître lui répondit: Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que je ramasse où je n'ai pas répandu;
Mt 25,27. il te fallait donc remettre mon argent aux banquiers, et, à mon retour, j'aurais retiré avec usure ce qui est à moi.
Mt 25,28. Enlevez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a dix talents.
Mt 25,29. Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance; mais, à celui qui n'a pas, on enlèvera même ce qu'il semble avoir.
Mt 25,30. Quant à ce serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres extérieures; là il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Voir aussi la Citation du jour du 23 Janvier 2006