mercredi 31 décembre 2008

Pourquoi se souhaiter la bonne année ?

Oui, c’est en effet une coutume très curieuse, que celle des souhaits. Elle est à la fois banale, les souhaits sont un peu comme on dit bonjour, faits sans penser à ce qu’on dit.

Et en même temps, il y a en eux une racine profonde qui ne demande qu’à s’exprimer pour peu qu’on l’interroge.

Dans le souhait, il y a plusieurs idées.

- La première est que des forces extérieures peuvent se mobiliser pour aider celui à qui on souhaite le succès. Ces forces sont magiques – ou du moins surnaturelles.

- La seconde est que cette mobilisation ne s’effectue que grâce à notre souhait. C’est une opération magique de la parole.

- La troisième, c’est qu’il y a toujours quelque chose à espérer.

- La quatrième est qu’il faut cette mobilisation pour que l’espoir de réussite existe.

… Stop ! Je n’irai pas plus loin.

Vous avez déjà compris que les souhaits de bonne et heureuse année sont insultants, ou du moins minorants pour celui qui les reçoit.

Il vaudrait mieux lui dire : « Mon vieux, je te connais, tu n’es pas de ceux qui ont besoin de vœux pour réussir dans tes entreprises. Je ne te souhaite donc rien du tout, et je te sers la main, en te disant : A bientôt ! »

--> Si l’on me répond que les vœux ne sont que l’expression de l’intérêt qu’on porte au bonheur de notre interlocuteur, je dirai : Pourquoi pas en effet…

Mais en même temps on voit bien que cet intérêt va avec l’incrédulité sur ses aptitudes à réussir par lui-même.


Pourquoi l’année débute-t-elle le 1er janvier ?

Docteur-Philo pourrait répondre ce que chacun sait : cette date a été choisie par commodité, et non par une nécessité liée au temps astronomique. D’ailleurs les dates les plus variées ont été instituées en des lieux et en des temps différents (comme le 30 août, le 1er septembre, le 25 mars, le 1er avril, etc.)

Mais si vous sollicitez Docteur-Philo, c’est pour avoir la réponse du philosophe, n’est-ce pas ?

La voici : une origine peut-être définie par commodité, comme ici. Mais elle peut aussi coïncider avec l’origine première du phénomène. Votre anniversaire est en même temps la date de votre naissance. Même si vous êtes né un 25 décembre (ou, pire, un 29 février) vous ne pourrez pas la déplacer comme ça, simplement parce que ça vous fait plaisir.

Comme on ne sait pas quel jour a eu lieu le Big-Bang, essayons de spéculer sur la date de la création de la terre par Dieu.

Certes, la Genèse n’en dit rien. Mais des théologiens très savants se sont penchés sur le problème, et ils ont conclu que Dieu avait créé la terre au Printemps.

Oui, au printemps. Car le printemps, avant d’être le renouveau, a été le nouveau tout court.

C’est donc au printemps que la terre est apparue et avec elle les plantes, les animaux et l’homme.

La date du nouvel an devrait donc être fixée à l’équinoxe de printemps, soit pour cette année le 20 mars.

Vous avez donc touts les arguments nécessaires pour exiger de nouvelles gratifications à votre patron pour cette date.
Merci Docteur-Philo !

mardi 16 décembre 2008

Peut-on réellement être amoureux et objectif ?

- l’amour est un sentiment

- l’objectivité est une caractéristique de la connaissance.

--> Donc à moins de dire que les sentiments produisent de la connaissance, être amoureux et être objectif sont deux registres de l’existence qui n’ont pas forcément de rapports.

1 - Toutefois…

On entend bien sûr l’objection qui consiste à dire que l’amour est aussi une évaluation de l’objet aimé. Comment aimerait-on si on ne ressentait en même temps la perfection de l’être aimé ?

- L’idée la plus courante est que l’amour nous aveugle.

Descartes dans une célèbre lettre (à Chanut, 6 juin 1647) raconte comment étant jeune la première fille qu’il aima louchait. Dès lors il fut attiré par toutes les filles qui avaient un strabisme ; c’était une sorte de réflexe conditionné, quelque chose d’irréfléchi qui ne relève pas de la connaissance, puisque les qualités de l’être sont complètement laissées à l’écart.

« Ainsi, écrit-il à Chanut, lorsque nous sommes portés à aimer quelqu'un, sans que nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu'il y a quelque chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous avons aimé auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que c'est. »

Toutefois, l’aveuglement n’est pas la qualité de l’amour, il en est une déformation – j’allais dire une perversion.

Si l’amour est aveugle, alors il doit disparaître, comme le dit encore Descartes dans la suite de sa lettre : voyant qu’il aimait pour une imperfection (le strabisme), il s’est débarassé de cette attirance.

- L’amour doit donc être visionnaire.

Platon disait qu’il était évident que le désir s’applique seulement à ce qui est beau et bon, et que jamais le laid ou le mauvais ne sera aimé. L’amour et un moyen pour trouver ce qui a de la valeur, et comme le beau et le bon vont ensemble, l’amour est le moyen pour accéder à l’absolu.

L’amour est objectif, mais ce qu’il voit avec objectivité est au-delà de l’apparence qui s’offre à tout un chacun : à l’opposé de l’amour aveugle on a affaire ici à l’amour visionnaire, celui qui voit l’excellence de l’âme…

2 – Re-toutefois :

La question qui nous a été posée, nous a imposé d’admettre que les êtres avaient une qualité objective, c'est-à-dire valable indépendamment du jugement que l’on porte dessus : la pomme est rouge, et si je la vois grise, je suis daltonien et c’est tout.

Nous avons dû supposer que les êtres aimés possèdent cette qualité objective, et que l’amour soit une certaine façon d’éprouver cette qualité – que dis-je ? De la détecter plutôt.

- Spinoza disait quant à lui que nous ne sommes pas appelés par les choses mais que c’est nous qui les désignons : nous ne désirons pas une chose parce qu’elle est bonne, disait-il, mais elle est bonne parce que nous la désirons.

Allez poser la question de l’objectivité après ça !

mardi 2 décembre 2008

La liberté consiste-t-elle à choisir ?

Est-on réellement libre de faire des choix ? Je vous écris docteur philo car cette question m'interpelle depuis quelque temps déjà : il est certain que la "liberté du choix" repose la plupart du temps sur des conventions sociales qui ne sont des obstacles que si on les considèrent comme tels, mais, pour tout les autres (je pense par exemple au cas où une mère doit choisir entre ses enfants) qu'en est-il ?

La boite à questions

Si vous avez un cours de philo sous la main allez voir le chapitre Déterminisme et liberté. Sinon, il y en a une flopée sur le net (par exemple ici pour les textes, et là pour le cours).

Bon.

Maintenant on peut aussi légitimement se demander d’où vient votre question du choix.

En général on s’interroge sur la liberté de choisir, parce qu’on estime que sans liberté de choisir pas de liberté du tout. C’est ce qu’on appelle habituellement le libre arbitre.

Seulement on est vite pris en tenaille entre deux excès : ou bien le choix est entièrement libre et alors il est arbitraire, ma liberté a autant de sens que si je tirais à pile ou face. Ou bien le choix est toujours conditionné et alors il n’est qu’une illusion dont sont victimes les ignorants ou les naïfs.

1 - Si nous sommes persuadés que la liberté de choisir est la condition fondamentale de la liberté, alors nous devons considérer aussi que notre action n’est pas fondée sur ce que nous sommes. Sans quoi, nous n’aurions évidemment pas le choix, puisqu’on ne ferait que réaliser ce que notre nature nous porte à faire.

--> Contre quoi, il y a une très longue tradition qui, en philosophie, identifie la liberté au pouvoir de réaliser ce que l’on est – et non pas au pourvoir de choisir. Chez les auteurs modernes, on peut se reporter à Bergson (Essais sur les données immédiates de la conscience, ch 3) : la liberté n’est autre que le déploiement de l’être, ce par quoi il devient ce qu’il était implicitement. Mais on devrait se référer à Spinoza pour avoir une critique en règle du libre arbitre et l’identification de la liberté à cet effort pour devenir ou pour rester soi-même (le conatus).

2 - Un livre récent fait allusion au dilemme de la liberté : il s’agit du livre de Giogio Agamben, le règne et la gloire (Homo sacer, II, 2) ; en particulier le chapitre 3 « Etre et agir ».

On serait selon lui en présence de la difficulté posée par l’affirmation que Dieu a crée le monde, et que par Jésus Christ il continue d’y agir.

En effet, chez Aristote, il n’y a pas de création. L’action de Dieu n’est autre que l’attirance suscitée par le premier moteur immobile (= Dieu) sur le cosmos (= monde). Mais s’agit-il d’une action ? Autrement dit, pour Aristote, l’action et l’essence de Dieu sont identiques. Etre et agir vont de paire ; le choix libre n’a rigoureusement aucun sens.

--> Par contre avec un Dieu éternel qui agit dans le temps par la création et dans l’histoire par Jésus Christ, on a une difficulté : Jésus est venu au monde par la volonté du Père, mais celle-ci ne peut-être une conséquence d’une décision située dans le temps – puisque Dieu est éternel et que, ce qu’il veut, il le veut de toute éternité.

Ainsi, l’action de Dieu ne peut être fondée sur son être, donc elle relève d’un mystère total.

Alors, voyez la conception de la liberté Kantienne. Pour Kant, la liberté suppose une forme de libre arbitre dans la mesure où elle implique que ce choix soit inconditionné (sans cause préalable). Seulement comme tout dans notre existence a une cause antécédente (si je décide de me marier, il y a eu avant ce choix un contexte social, un désir, etc..), je ne peux jamais être sûr de choisir tout à fait librement (puisque liberté=être cause première). Il ne me reste plus dit Kant qu’à poser que le libre arbitre doit exister, que c’est même là un postulat de la raison pratique.

Bref on a bien là un acte de foi.