jeudi 20 mars 2008

La douleur, est-ce que ça sert à quelque chose ?

Dans la série "Si la philosophie ne t'aide pas à vivre mieux alors va faire une pétanque" j'ai des questions à vous poser autour de la douleur physique. Des philosophes qui l'ont connue cela ne manque pas je crois. Comment ont-ils fait pour qu'elle n'empêche pas autre chose qu'elle d'advenir ? Plus généralement, la douleur, est-ce que ça sert à quelque chose ?

- J’aimerais avant toute chose distinguer entre la douleur physique et la souffrance morale.

--> La douleur physique est justifiée par les besoins de la survie et si on la fuit, c’est qu’avec sa manifestation on perçoit un danger. Restent que les chrétiens l’ont valorisée comme telle, allant jusqu’à se l’infliger (port du cilice) pour mériter leur salut : en faisant souffrir leur corps ils purifiaient leur âme. Pour les autres, la question est seulement : quelle stratégie avoir devant la douleur ? La fuir, quitte à s’abrutir de calmant, ou bien l’affronter héroïquement ? La philosophie "des sages "engage à cet affrontement (sauf Montaigne peut-être - il est vrai qu’il savait de quoi il parlait)

--> La souffrance morale… Là, Docteur-Philo se gratte la tête. C’est qu’on risque de se perdre dans le dédale des thèses sur son origine, sur sa valeur, sur les stratégies devant la souffrance. Faut-il la négliger comme inessentielle - comme Epicure ? Faut-il en faire le révélateur de l’existence humaine, comme l’angoisse kierkegaardienne ?

Contentons-nous d’une brève analyse.

La souffrance n’est jamais seulement dans l’instant présent. Ou plutôt, si elle n’était que dans l’instant, elle serait douleur plutôt que souffrance ; je veux bien qu’un deuil soit dans l’instant du décès une douleur extrême. Mais la souffrance consistera plutôt à se représenter l’avenir comme décoloré par l’absence de celui qui était là l’instant d’avant.

Alors, certes, la souffrance morale est une épreuve dont on peut espérer sortir grandi, simplement par le fait de sortir d’une épreuve qui aurait pu nous engloutir. Mais faut-il pour autant l’espérer ?

Certains philosophes ont botté en touche : ils disent en gros que la souffrance est la conséquence du notre conscience et que pour ne plus souffrir il faut devenir un pourceau comme Epicure aurait voulu qu’on le soit - selon ses détracteurs. (1)

--> Donc, pour que la douleur n’empêche pas autre chose d’advenir, prenez une aspirine.

Si c’est la souffrance, faites-en un poème.

(1) Tenez, lisez plutôt ce texte de Lavelle.

En elle-même, [le souffrance] est un mal présent et toujours éprouvé dans le présent. Mais elle abandonne toujours l'instant pour remplir la durée. Au lieu de se renouveler, comme la douleur, par les atteintes mêmes qui ne cessent de lui venir du dehors, elle trouve en nous-même un aliment. Elle se nourrit de représentations. Elle se tourne toujours vers ce qui n'est plus ou vers ce qui n'est pas encore, vers des souvenirs qu'elle ranime sans cesse afin de se justifier et de se maintenir, vers un avenir incertain, mais où elle trouve, dans les possibles qu'elle imagine, un moyen d'accroître son tourment. On voit donc que, si le propre de la conscience est toujours de chercher à chasser la douleur, il n'en est pas tout à fait ainsi de la souffrance. La conscience sans doute ne voudrait pas souffrir et cependant, par une sorte de contradiction, la souffrance est une brûlure, un feu intérieur auquel il faut qu'elle apporte elle-même une nouvelle nourriture. Elle n'existerait pas si ma conscience pouvait être réduite tout à coup à un état d'inertie ou de parfait silence intérieur. Il faut que je ne cesse d'y consentir et même de l'approfondir. Pour la même raison, on peut dire que la douleur n'intéresse jamais qu'une partie de moi-même : mais dans la souffrance le moi est engagé tout entier. Louis Lavelle, Le Mal et la Souffrance, Plon, 1941, pp. 86 à 88.

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