mardi 11 novembre 2008

Qui sont les étrangers ?


Aux termes de l’ordonnance du 2 novembre 1945, toujours en vigueur, sont considérés comme étrangers « tous les individus qui n’ont pas la nationalité française, soit qu’ils aient une nationalité étrangère, soit qu’ils n’aient pas de nationalité » (art. 1).

Autrement dit, l’étranger c’est celui qui réside normalement de l’autre côté de la frontière.

La réponse juridique comme toujours est d’une simplicité confondante, mais elle ne sert pas vraiment pour démêler la complexité des attitudes réelles vis-à-vis de ceux qui sont considérés comme étrangers.

Si on s’en tenait là en effet on se contenterait de donner une caution juridique aux propos de nos concitoyens qui affirment que nous sommes chez nous, et que quand quelqu’un vient sonner à notre porte, nous pouvons refuser de lui ouvrir ou le mettre dehors s’il est déjà dedans.

Mais on sait bien que tous les étrangers ne le sont pas au même degré. Et que les citoyens français ne sont pas tous aussi français les uns que les autres…

Il faut donc comprendre quelle est notre attitude vis à vis de l’étrangeté, pourquoi le rejet, parfois violent, de ceux qu’on ne veut pas considérer comme nos semblables est cautionné par ce jugement : « ce sont des étrangers. »

--> Les racistes se reconnaissent au fait qu’ils estiment que certains sont par nature des étrangers, entendez qu’ils le resteront toujours quelque soit leur position sociale, quelle que soit leur nationalité. On en a entendu quelques uns, américains blancs qui considéraient que les noirs ne seraient jamais vraiment des citoyens américains.

Pour ces gens là, c’est la nature qui fait les étrangers. Il faut dire aussi que dans les cas les plus radicaux, l’étranger est le non-humain, comme l’a été le juif, le nègre, l’indien. La limite qui sépare l’humanité de l’inhumanité traverse alors le genre humain en plein milieu.

--> Le plus souvent, les étrangers sont simplement étranges, c'est-à-dire qu’ils n’ont pas la même culture, les mêmes vêtements, les mêmes noms que nous autres.

Il faudrait dire aussi que ces gens sont inquiétants, comme Freud le montre dans son article « Inquiétante étrangeté » – c’est l’Unheimlichkeit – qui qualifie la peur devant la différence.

Le critère qui définit l’étranger est donc psychologique, et on trouve des étrangers partout où sont ceux qui font peur, comme les barbares qui peuplent nos banlieues quand elles sont des zones de non-droit.

[Se rappeler de la réponse de Mac Cain, à une interpellation dans le public lors d’un de ses récents meetings. On lui crie « Obama est un arabe ». Mac Cain répond : « Madame, je dois vous dire que le sénateur Obama n’est pas arabe : c’est un bon père de famille ». Texto.]

--> Au lieu de dissoudre le concept d’étranger dans les relations sociales, certains philosophes en ont fait une conséquence de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus authentique: c’est la réalité humaine (dasein) qui constitue la réalité de l’étranger. Nous sommes tous – en puissance – des étrangers.

- Tel est le cas de Sartre pour qui l’étranger est un homme qui est tenu pour tel par les autres hommes (Cf. Réflexions sur la question juive) : puisque l’homme n’a pas de nature préétablie, que toute sa réalité consiste dans le pouvoir de se choisir lui-même, alors par un retournement caractéristique de cette nature, il peut aussi être défini par les autres (ou plutôt : accepter de se définir comme les autres veulent qu’il soit). Et alors il peut être défini comme le non-homme : c’est ainsi que le juif est celui qui est considéré comme juif par les autres. [Ou encore le petit Momo de La vie devant soi, de Romain Gary, qui ne sait pas qu’il est arabe, parce que personne ne l’a encore insulté.]

--> Être étranger, ce n’est pas avoir une nature particulière, ni même une culture différente des autres, pas plus qu’un aspect physique remarquable (les juifs n’étaient pas forcément reconnaissables, au grand désespoir des Nazis).

Un homme peut m’être parfaitement étranger, si je refuse de le regarder comme un homme, c'est-à-dire comme mon semblable.

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