mercredi 16 avril 2008

Peut-on se pardonner à soi-même ?

Peut-on se pardonner à soi-même ?

Encore une question qui part d’un constat : on se dit souvent « Ça, je ne me le pardonnerai jamais ! » On ne se dit jamais : « Ça, je me le pardonne bien volontiers ». On ne peut être le pardonneur et le pardonné.

Autrement dit, si on se trouve facilement des excuses, on n’a jamais cette distance par rapport à soi-même pour se pardonner, parce que le pardon, ce n’est pas la négation de la faute, pas plus que ce n’est son oubli.

- Si la faute n’existe pas, ou si elle est bénigne, le pardon n’a pas de sens. Il faut une faute bien grave, j’allais dire bien impardonnable. Et il faut le repentir.

- Le repentir et la promesse de ne plus recommencer signifient que la faute appartient à une époque révolue : le repentir inaugure une ère nouvelle. C'est donc un déblocage du temps, qui permet de redémarrer un processus arrêté par la mauvaise action.
Se réjouir du mal qu’on a fait et promettre de recommencer : autant dire que ce n’est pas la faute qui est impardonnable, mais son auteur.

- Le pardon n’est pas non plus l’oubli. Dire : « Je ne te pardonne pas… pas encore. Peut-être parviendrai-je à te pardonner plus tard », ça renvoie à l’oubli de la faute, ça veut donc dire que la faute n’est faute que parce qu’elle nous a blessé, et non parce qu’elle a outragé les valeurs. Il n'y a pardon que là où les valeurs ont été outragées.

- D’ailleurs, pour que le pardon ait un sens il faut que le temps soit non seulement irréversible, mais en plus, on l'a vu, bloqué sur le moment de la faute. L’oubli est non seulement inessentiel, mais il est en plus impossible. « Tu m’as trahi, et vois-tu, à tout jamais ta faute existera. A tout jamais tu seras celui qui a commis cet acte abominable ». Cet « irrémédiable » de la faute est symbolisé dans Barbe-Bleue par la tache indélébile de sang sur la clé.

- Si donc le repentir a fait la moitié du chemin, le pardon doit faire l'autre moitié: c'est lui qui va débloquer le temps ; si le pardon n’efface pas la faute, en revanche il est un acte de réconciliation – raison pour la quelle le pardon à soi-même est difficilement concevable (1). Le pardon est amour : « Tu m’as fait souffrir, tu m’as trahi. Mais je t’aime et cet amour est plus fort que la rancœur que j’aurais pu avoir pour toi. Je veux continuer avec toi comme avant, et c’est ça que signifie mon pardon. »

On comprend que si la faute est gravissime elle soit impardonnable, et que seul un amour infini pourrait pardonner. Ce qui veut dire que seul Dieu peut pardonner – et la confession, c’est fait pour ça.

--> En dehors de Dieu dont l’amour infini m’est incompréhensible (comme tout ce qui est infini), à qui appartient-il de me pardonner, si ce n’est pas à moi-même ?

- Est-ce à la victime de pardonner ? Ce ne serait le cas que si le pardon dépendait mécaniquement du repentir sincère. Or on vient de le voir avec la confession, le repentir ne serait rien si Dieu ne nous aimait d'un amour infini. Dans les prétoires des cours de justice, on voit les victimes se dresser devant leurs agresseurs, à la fois attendant l’acte de repentir, et en même temps refusant le pardon, comme si c’était là la seule punition qu’elles aient le pouvoir d’infliger au coupable.

En réalité, on voit bien que si le pardon suppose l’amour, la victime n’est pas forcément qualifiée pour l’accorder. Et du reste celui qui se repend et qui demande le pardon, le demande aussi – et peut-être surtout – à ceux qu’il aime (« Maman, j’ai déçu l’amour que tu me portait…Pardonne-moi »).

--> Et si personne ne peut ni ne veut me pardonner, qu’est-ce que je peux faire ? Suis-je condamné à errer avec ma faute en fuyant ma mauvaise conscience comme le Caïn de Victor Hugo (« L’œil était dans la tombe… ») ?

Voyons du côté du bouddhisme : le karma signifie que chacun de mes actes est inscrit dans mon existence, ineffaçable. Et de plus qu’il n’y a personne pour surmonter le mal que constitue ma faute. Mais le karma signifie aussi que mes actes ne peuvent avoir de sens qu’une fois intégrés dans le tout de mes vies successives, qui leur donne progressivement une valeur nouvelle. Et si cette existence ne suffit pas, alors une existence suivante pourra opérer cette transformation.

--> C’est ici qu’on va trouver la réponse à notre question : je ne peux me pardonner à moi-même, mais je suis libre.

La liberté disait Sartre c’est la pouvoir de changer un acte par d’autres actes. Si j’ai besoin de pardon, c’est que ma liberté est impuissante à transformer ma faute : irrémédiable, irrattrapable.

Irrattrapable… dans cette vie. Mais dans la vie prochaine ? Et dans mille vies ?


(1) Difficile, mais certes pas impossible. Comme Lacan le faisait observer, la psychanalyse n’est autre que l’effort pour se réconcilier avec soi-même.

1 commentaire:

Jehlyn a dit…

Je viens de tomber sur cet article, Merci.
Je ne me pardonne pas une trahison a moi meme et surtout envers une personne que j'aimais, mais lui a pu me pardonner, je n'avais pas compris comment ni pourquoi il pouvait faire cela. Maintenant je sais, trop tard certes, mais au moins j'ai compris.
Merci