lundi 25 février 2008

A quoi ça sert, la honte ?

De quoi devrait-on ou ne devrait-on pas avoir honte ? Et finalement, à quoi ça sert, la honte ?

La boite à questions

Il y a deux idées ici :

* d’abord, l’idée qu’il y a des actes honteux par eux mêmes, dont on devrait avoir honte dès qu’on les commet.

* Et ensuite que la honte remplit une fonction qu’on peut définir.

--> Sur la première idée, on pensera à Sartre dont les pages de l’Etre et le néant sur la honte sont déterminantes dans le développement de sa thèse sur la conscience.

Sartre dit : on n’a pas honte tout seul ; on n’a honte qu’en présence d’autrui, sous son regard. Si nous avons honte tout seul, c’est simplement parce que nous nous imaginons regardé, voire même parce que notre surmoi a intériorisé le regard d’autrui (Dieu te regarde…). Tous les arguments présentés pour accréditer qu’il y a du honteux en soi, renvoient en effet à mythe du péché originel : la première manifestation de la honte a lieu lorsque Adam se cache pour ne pas se montrer tout nu devant son Créateur, parce qu’il a découvert ce qu’était le Bien et le Mal (connaissance morale = fruit défendu). A noter qu’ici ce n’est pas un acte qui est honteux ; c’est le corps : Adam a honte de montrer ses « parties honteuses ». Mais comment avoir honte de ce que l’on est sans l’avoir fait ? Bref, tout cela ne se tient pas sans le mythe, et on a fabriqué des armées de névrosés avec ça.

- Reprenons la thèse de Sartre : la honte c’est la découverte de soi-même comme objet.
Rappelons l’exemple pris dans le texte évoqué : supposons que je sois entrain de regarder par le trou d’une serrure. Voici que j’entends des pas derrière moi : on me regarde. Je ne sais pas ce que pense de moi celui qui est arrivé, peut-être va-t-il me dire « tu n’es qu’un vilain curieux », peut-être va-t-il me dire « pousse toi de là que je regarde aussi ». Voici ce qui compte réellement : la honte est la découverte que, pour lui, je suis identifié à mon attitude, penché sur la porte, l’œil collé à la serrure. Mon intention, le flux de mes sentiments il ne les connaît pas ; il n’en a que faire. Dans l’instant je suis totalement identifié par mon attitude. C’est ça être un objet, et c’est la découverte que je fais par la honte. Ma conscience, qui ne s’éprouvait jusque là que par le vécu intime de la subjectivité, découvre maintenant qu’elle existe aussi dans son rapport aux autres, et que dans ce rapport elle n’est qu’un objet : elle a donc aussi une couche « objective ».

--> Sur la seconde idée, je crois qu’on peut conclure plus rapidement. Et certes, la honte n’est pas seulement une expérience de soi-même comme objet ; elle est aussi un sentiment moral, ou plutôt elle est la sanction de la faute, celle qui avertit qu’on vient de franchir la ligne blanche (1). Il faut faire croire que le désagrément d’être vu - dont on vient de parler - est corrélatif d’une faute.

La honte est donc une manipulation de la conscience d’autrui : je te regarde, je te juge sur ton attitude qui me prouve que tu n’es rien d’autre que ce que tu me parais être.

La honte c’est les autres, et les autres c’est l’enfer (voir la mise au point de Sartre sur Huis-clos)

(1) Selon Kant, le respect est le seul sentiment moral : il s’agit de l’expérience de l’abaissement de notre moi en présence d’une valeur qui nous dépasse. Or le respect ne suppose pas une attitude ni une activité particulière, même s’il nous invite à agir en fonction du Bien.

3 commentaires:

Patrick KIRI a dit…

Bonjour,

Je ne crois pas qu'Adam ait simplement eu peur de montrer "ses parties honteuses" comme vous le dites...

Trahir Dieu c'est affirmer implicitement que celui-ci n'est pas digne de confiance; il n'y a donc aucune raison de suivre ses préceptes. La honte n'apparait généralement qu'en présence de personnes en qui l'on a pas confiance ou quand on est dans un état "d'extrême vulnérabilité" (quand on est incompétent ou saoul par exemple). D'où la honte d'Adam et de Eve en la présence de Dieu, après l'avoir trahis. Honte d'autant plus justifiée qu'ils sont nus et donc vulnérables. Si le mal existe, alors il est nécessaire de protéger son corps et ses organes les plus précieux et/ou intimes.


Pouvez-vous m'expliquer le sens de la question que vous posez: "Mais comment avoir honte de ce que l’on est sans l’avoir fait ?"

Sans avoir fait quoi?

Jean-Pierre Hamel a dit…

Bonjour,
Comme je l’explique, la honte est un sentiment qui implique autrui : je reprends ici la thèse développée par Sartre qui voit en elle un évènement qui survient juste à la rencontre entre deux individus. Avant même que la défiance – ou la confiance – s’instaure, la présence d’autrui (tel que l’inconnu qui passe dans la rue – ou la foule) constitue la possibilité d’un jugement, source de la honte et du coup me révèle mon existence comme objet-pour-autrui.
Quant à savoir si Adam a trahi Dieu parce qu’il n’avait pas confiance en lui, je ne sais pas si on peut dire cela. J’avais cru comprendre que c’était l’influence active d’Eve – et du serpent – qui avait déterminé Adam, et non un jugement sur Dieu. Mais j’avoue ne pas être très féru de théologie.
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« Pouvez-vous m'expliquer le sens de la question que vous posez: « Mais comment avoir honte de ce que l’on est sans l’avoir fait ? »
- Oui, vous avez raison de pointer cette question assez déconcertante. J’aurais dû écrire plutôt : on peut avoir honte ou bien de ce qu’on est, ou bien de ce qu’on fait. Dans ce dernier cas, comme Adam n’a rien fait de mal, du moins du point de vue sexuel, alors il n’a pas à avoir honte de ses organes. Reste donc qu’il ait honte de ce qu’il est – qui se révèle dans la l’existence de sa sexualité.
Votre interprétation du la pudeur adamique – qui met hors circuit la sexualité – est séduisante, mais à mon sens elle n’exclut en rien l’autre interprétation.
…La quelle a l’avantage d’être raccord avec la doctrine chrétienne de la sexualité.

NeGPsychiatricK a dit…

Bonjour,

Merci d'avoir répondu. Il n'est pas trop tard pour corriger votre question "déconcertante"... Pour les futurs lecteurs! :-)

Effectivement pour Adam, peut-être ne s'agit-il pas d'un manque de confiance... Peut-être a t-il oublié (Le Coran, Sourate 20:115) la recommandation divine. Ève ne peut pas en dire autant: elle a clairement préféré croire le serpent plutôt que Dieu, ce qui signifie selon moi qu'elle n'a pas fait confiance à Dieu.

Peut-être les deux interprétations de la "honte adamique" sont-elles complémentaires.