mardi 19 octobre 2010

Le corps est-il l’expression de ce que nous sommes ?

Pourriez vous développer, dans un prochain billet, l'idée que le corps est une expression de ce que nous sommes ? Cela me semble un sujet tout à fait intéressant.

Question formulée sur le Blog La citation du jour, le 12 octobre

3 possibilités :

1 – Nous sommes composés d’un corps et d’une âme. Non seulement ils ne sont pas de même nature, mais encore le corps est un piège pour l’âme, où elle vient s’engluer et perdre sa spiritualité. C’est ce qu’explique Platon, c’est ce que les mystiques ne cessent de répéter. La mort est une délivrance en ce qu’elle débarrasse l’âme de son enveloppe charnelle.

2 – Le corps est l’autre de l’âme, ce à quoi elle ne s'identifie pas (par ce qu’elle est de nature spirituelle et non matérielle) et qui pourtant lui est indissolublement lié : c’est le mystère de l’incarnation, qu’on retrouve jusque chez Descartes (et Malebranche). Ici, il peut y avoir correspondance entre l’âme et le corps, quoiqu’il n’y ait pas de continuité entre les deux. Bergson à ce propos utilisait la métaphore de l’orchestre : le chef d’orchestre ne joue pas et pourtant il y a bien une parfaite correspondance entre ses gestes et la musique jouée par l’orchestre.

3 – Enfin on peut affirmer que le corps et l’âme sont en parfaite continuité, qu’il n’y a pas une muraille de Chine qui sépare l’être humain en deux, d’un côté le corps, de l’autre l’âme.

C’est ici que réellement on peut dire que le corps est une expression de ce que nous sommes,

- soit, de façon intuitive, en disant que le corps se sculpte au cours de la vie en fonction du vécu (cette ride d’expression – ce dos un peu voûté – cette démarche altière…). L’enfant qui vient au monde a un corps qui doit tout à la nature. Le corps du vieillard est l’expression de sa vie.

- On peut aussi comme les « psys » (psychanalystes en particulier) développer la théorie de l’expression empêchée. Le corps est ce qui dit ce que le sujet ne peut exprimer – ce qu’il ne peut même pas penser.

On connaît la liste des manifestations psychosomatiques qui expriment à leur façon les angoisses, les désirs refoulés, les stress de la vie quotidienne. (Ça va du l’eczéma au cancer)

--> Si le corps est l’expression de ce que nous sommes, alors les maladies ont un sens et agir sur l’humeur – ou sur la spiritualité – est une façon de préserver sa santé.

--> Si on recule devant une telle conséquence, il reste quand même à admettre certains phénomènes psychosomatiques, comme l'effet placebo.

lundi 19 juillet 2010

L'art doit-il être écologique ?

Récemment je me posais quelques questions sur l'art:
Doit il être écologique ? Ou dit autrement doit il être en harmonie avec son environnement.

La boite à question

Curieuse question : la dernière fois que quelqu’un a défini l’art comme ce qui devait être en harmonie avec l’environnement (social), c’était Joseph Staline…

Mais, Docteur-Philo en a vu d’autres, et il va s’atteler bravement à la question : après tout les goulags sont fermés aujourd’hui.

L’idée qui domine depuis le XXème siècle, c’est que l’art est à lui-même son propre environnement. Le monde, c’est lui ; la nature, c’est lui ; l’univers même s’arrête à ses limites. Penser qu’il puisse y avoir une œuvre d’art « bio » est proprement incongrue.

Toute fois, parce que les choses ne sont jamais ni toutes blanches ni toutes noires, il est vrai qu’en deçà de l’harmonie avec l’environnement, il y existe peut-être parfois une intuition de la nature, une sorte de connivence avec elle qui peut nourrir l’inspiration d’un artiste. Et je dirai alors qu’il ne s’agit pas forcément d’un artiste plasticien. Qu’on songe au compositeur finlandais Sibelius : son poème symphonique Finlandia (devenu hymne national de la Finlande) nous donne les frissons devant les steppes du grand nord et ses lacs bordés de sapins (toutefois, je lis que le Biafra l’avait aussi adopté comme hymne national : je ne sais qu’en conclure). Que ceux qui ne connaissent pas Sibelius pensent alors à Smetana et à sa célébrissime Moldau (ou plutôt Má Vlast dont la Moldau forme une partie).

Reste alors à se poser la question essentielle : faut-il donc faire appel à l’art pour donner une expression à cette connivence avec la nature ?

Peut-être que oui, s’il est vrai que le langage quotidien, que la perception usuelle des formes, que l’attention au monde sont absorbés par des tâches utilitaires qui annulent ces émotions pourtant si universelles. Telle était du moins la certitude de Bergson.

Mais quelqu’un comme Merleau-Ponty pensait que cette connivence avec le monde était trop fondamentale pour être totalement évacuée du quotidien, et que le langage dans ce qu’on a de plus fruste atteste d’une telle intuition.

samedi 27 février 2010

Que peut-on répondre au pessimisme ?

Bonjour Docteur Philo. J'ai peur d'être assez d'accord avec Schopenhauer et je voulais savoir ce qu'on peut rétorquer à son pessimisme, qu'est-ce que lui ont rétorquer les grands philosophes et ce que vous en pensez. Il me plairait d'embrasser une autre philosophie que la sienne, encore faudrait-il me convaincre... Merci beaucoup


Question : si vous n’êtes pas pessimiste, êtes-vous nécessairement optimiste ?

Examinons les alternatives au pessimisme.

a – L’optimisme.

Je ne ferai pas un exposé sur le sujet de l’optimisme, je me contenterai d’une référence à Leibniz, qui en est un représentant particulièrement connu : Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Je dirai simplement que l’optimisme suppose un engagement, une croyance en un principe organisateur du monde (un Dieu, un Grand architecte, l’histoire matérielle des hommes (Marx), ou qui vous voudrez) qui garantit sa perfection ou du moins sa moindre imperfection. Il garantit aussi sa cohérence et sa pérennité.

Disons pour en terminer avec ce cas, que ceux qui ne croient pas à un tel principe disent qu’on doit tout de même faire comme si c’était vrai, car sans cela la morale – qui rétribue les bonnes et les mauvaises actions – ne serait pas possible. C’est Kant qui illustre cette option.

b – Le matérialisme antique.

Je pense que l’optimisme comme le pessimisme d’ailleurs a disparu de notre horizon avec la faillite du marxisme. Comme le dit Sartre, on ne mous a rien promis, et d’ailleurs on ne nous a menacé de rien non plus. Nous sommes libres de faire notre trace dans le monde (1), et puis un beau jours, nous disparaissons comme la bulle de savon qui éclate, et c’est terminé.

Si je me réfère à l’histoire des idées, je trouve ici Épicure.

Selon lui, les dieux sont trop loin de nous pour intervenir dans notre vie, ils ne s’occupent donc absolument pas de nous ; d’ailleurs ils ne nous ont pas créés – seul le hasard est notre origine. On n’a donc pas à redouter leur colère, pas plus d’ailleurs qu’à compter sur eux pour améliorer notre sort. La souffrance est le seul mal que nous ayons à craindre, et la première de toutes nos souffrances, c’est la crainte que nous en avons. (Pensons au rôle attribué aujourd’hui au stress pour comprendre le message épicurien.) Notre mal est en nous, il n’est autre que notre peur du mal. Et ainsi, la mort n’est pas à redouter, car, puisqu’elle nous supprime elle ne nous concerne pas : c’est la peur de la mort qui est mortifère.

c – Conclusion.

L’optimiste et le pessimiste se donnent la main pour affirmer que la vie est toute tracée, qu’il ne sert à rien de lutter, que tout était déjà dit avant même notre naissance (Inch Allah...). Ce sont des philosophies paresseuses.

Je propose donc l’épicurisme comme alternative à ces options, et je remarque que je ne suis pas le seul – pensons à Michel Onfray cet inlassable adepte du matérialisme grec.


(1) Pour Sartre, la liberté n'est pas de faire ce dont on rêve, mais "de faire quelque chose avec ce qu'on a fait de nous".


jeudi 7 janvier 2010

Allons-nous vers la société du « tout-gratuit » ?


C’est cette question que se posait une de mes amies lors d’une soirée entre gens bien disposés pour la réflexion. Etant donné que moi, Docteur-Philo je reste comme tous les Super-Héros un héro incognito, mes proches et mes familiers ignorent tout de mon super-pouvoir philosophique.

Je n’ai donc pas voulu intervenir dans le débat mais il y avait pourtant bien des choses à dire.

Alors, c’est vrai que la diffusion par Internet de textes, de documents, d’images de musiques, – que sais-je encore ? – a créé une impression nouvelle, à savoir que l’on pouvait obtenir sans payer, c'est-à-dire sans acheter ni louer, tout ce que je viens de citer, indépendamment du fait que ce sont aussi par ailleurs des marchandises. De là à penser que le chemin n’est plus très long avant que disparaisse la société marchande, il n’y a qu’une pas – du moins pour l’imagination débridée de certains.

Le débat sur la loi Hadopi nous a rappelé que pour certains, en particuliers les artistes du show-bizz, la vente des produits de leur art était la condition même leur production. Point d’argent, point de suisse disait Racine ; pas d’argent, pas de chanteur disent nos artistes du Top 50.

Alors, voilà : le débat est obscurci parce qu’il condense deux questions différentes :

1 – Qu’est-ce qui peut être gratuit ?

2 – Pour ce qui doit être payé, comment fixer le juste prix ?

Pour la première, la réponse est simple : est gratuit tout ce qui peut-être donné. Si nous rédigeons un Blog, nous donnons quelque chose à nos lecteurs et nous ne songerions certes pas à le leur faire payer (et même nous devons être attentifs à ce que notre fournisseur d’accès n’ajoute pas de la pub derrière notre dos). Bien entendu, les compositeurs de musique n’ont aucune intention de donner leur création. Il faut donc la payer – au juste prix.

Pour la seconde, qui porte donc sur le juste prix, je trouve que la question est beaucoup plus intéressante.

--> Les utilisateurs de téléchargement illégal disent : « Moi, je refuse de payer le prix d’un album ou d’un DVD, parce que c’est trop cher. Les Majors s’engraissent sur notre dos, c’est inadmissible ». C’est donc effectivement le juste prix qui est mis en cause, et ce n’est pas si simple de dire ce qu’il est.

Nous le constatons, depuis le début de la crise financière, et les commerçants le savent bien : on ne peut plus vendre si on n’affiche pas un rabais, même minime, même illusoire. Les acheteurs refusent de payer le prix fort – même quand il s’agit du prix normal. Ce n’est plus la marchandise qui fixe la valeur des choses, mais le marché. On fait l’étonné quand on constate que les passagers d’un TGV ont tous payé un prix différent pour le même voyage : c’est que le billet a une valeur proportionnelle au taux de remplissage du train. Terminé le prix du voyage fixé par la longueur du parcours.

Etonnez-vous donc que les téléchargeurs de musique sans payer prétendent fixer eux-mêmes le montant à payer pour leur téléchargement ? Et qu’ils se moquent de savoir si l’artiste arrive à vivre avec ce qu’il leur laisse ? Se demande-t-on si le salaire du conducteur de notre TGV est couvert par le prix de notre billet ?

La gratuité est pourtant dans la conscience des utilisateurs du web une conséquence du progrès technique et non une affaire de droits d’auteurs. Mais surtout, la gratuité est une liberté et on renonce rarement à une liberté.

Comme de celle de publier et de faire lire ce Blog. Liberté dont jouissent aussi mes alias, qui rédigent deux autres (excelllllents) blogs (La citation du jour ; De l’image à la parole).

Vous pouvez vérifier ici et .

[Un peu de Pub… gratuite !]

lundi 7 décembre 2009

Répondre à la question Qu’est-ce que la vie, n’est-ce pas en réalité répondre à la question Qu’est-ce que l’homme, telle que la science a contribué à


Bonsoir Docteur Philo, une petite question qui m'embête depuis quelque temps, et surtout dans le courant actuel des grands débats bioéthiques. Avant de parler de définition de la vie, ou de connaissance de la vie, je me demandais pourquoi l'homme cherche-t-il à la définir, si ce n'est pour répondre à des questions que les progrès de la science soulèvent, quant à la définition même de l'homme?

La boite à questions

Bigre... Pas facile votre question, d’autant que la notion de vie occupe une place considérable dans l’histoire des sciences : le volume qu’André Pichot a consacré à cette question fait 970 pages (Histoire de la notion de vie, dans l’édition Tel).

Et puis comment ne pas être troublé par le rapprochement entre ces deux questions quand on se rappelle que dans les années 60 Michel Foucault disait justement que l’homme était une notion qui allait disparaître du champ scientifique, au moment même où François Jacob déclarait que dans les laboratoires, la recherche ne s’intéressait plus à la vie mais au vivant (entendons aux phénomènes du vivant). D’ailleurs Docteur-Philo qui a enseigné la philosophie dans une vie antérieure se rappelle que dans les programmes de philo de terminale, c’est bien le vivant qui figure et non la vie.

Bref, au moment où on cesse de parler de l’homme, on cesse en même temps de parler de la vie.

Ce qui prouve la pertinence de votre question et qu’en même temps on ne se la pose plus

Ça ne signifie pas pour autant qu'elle soit sans intérêt, mais seulement qu'elle a une dimension historique.

--> Si je tente quand même l’aventure d’une réponse, ce sera avec plein de points de suspension.

En fait penser à définir l’homme en définissant la vie, c’est se comporter en matérialiste. Ce qui ne surprendra personne si on admet que ce sont les scientifiques qui le font.

Parce que, si vous dites « comprendre la vie c’est comprendre l’homme » alors vous allez rattacher les propriété humaines à des données physiologiques – voire même à la matière brute. On dira que les gènes sont responsables de la nature humaine, et que ces gènes sont eux-mêmes un empilement de molécules d’ADN autrement dit de substances chimiques. Et vous allez, par exemple comme Notre-Président, expliquer que l’homosexualité ou la pédophilie c’est génétique.

Qu’est-ce qui est exclu de l’humanité dans ce cas ? D’une part la liberté ; passons. D’autre part l’histoire, c'est-à-dire l’effet de l’évolution culturelle, de l’environnement humain etc…

Je devine que vous attendiez encore une autre exclusion : Hé oui… L’âme ! Quid de l’âme ? Peut-on la définir scientifiquement ? Où se situent les gènes l’âme ?

Dans ce cas, un conseil : abandonnez la science et ouvrez la Bible. Dans la Genèse, on voit bien que Dieu crée comme ça, sans plus, les animaux. Mais quand il s’agit de l’homme, la vie se dédouble : il y a la glaise dont est fait son corps et le souffle divin qui vient l’animer. C'est-à-dire : la vie, chez l’homme est double, alors que chez l’animal elle est simple.

L’homme possède alors la vie sous deux formes différentes et c’est de là que vient cette propriété extraordinaire pour un être vivant : l’immortalité – partielle, mais tout de même.

mercredi 25 novembre 2009

Y a t-il un responsable autre que la causalité ?

Question posée dans La boite à questions.


La causalité est-elle synonyme de responsabilité ?

Faut-il comprendre qu'on se demande si c'est la cause qui a produit tel effet qui est l'origine de la responsabilité ?

Mais alors il faut se demander aussi: qu’est-ce donc que la « causalité » ?

De toute façon la question est encore trop classique (de millions de pages pour la traiter ont sûrement déjà été écrites), et en même temps loin d’être résolue (voyez les débats sur l'opportunité de juger les fous).


Toutefois, Dr. Philo s'est engagé à répondre à ses honorables lecteurs et il n'est pas homme à reculer devant sa responsabilité

De quelle causalité parle-t-on ? De la cause efficiente ? De la cause liée à la volonté ? S’agit-il d’un sujet qui a agi en pleine connaissance de cause, ou bien était-il ignorant de l’effet produit, ou encore incapable d’être conscient de ce qu’il faisait ?

- Ça fait longtemps qu’un ne traîne plus devant le tribunal l’animal qui a causé un dommage, et on ne juge plus (ou pas encore) les fous criminels.

--> Donc l’imputation de responsabilité suppose non seulement qu’on ait fait ce qui donne lieu à responsabilité, mais encore qu’on l’ait voulu.

Voilà donc quelques éléments de réponse :

1 – Il n’y a responsabilité que là où il a quelque chose qui a été fait impliquant la volonté humaine – ou divine.

Et donc le fait strictement naturel (le tremblement de terre qui ravage une région, la tempête qui coule le bateau) ne donne lieu à aucune responsabilité.

De même le hasard n’est aucunement responsable : le fait de gagner une fortune au Loto n’a rigoureusement aucun sens dans ce domaine.

2 –Poser la question de la responsabilité, c’est donc se demander : quand est-ce qu’on peut dire qu’on a voulu réellement ce qui s’est passé. On se rappelle de la formule « Responsable mais pas coupable », qui voulait dire qu’il existe une responsabilité formelle mais pas réelle, quand on n’a pas véritablement souhaité ce qui s’est passé. On juge en ce moment Douch, le tortionnaire cambodgien, qui comme les bourreaux nazis plaide l’obéissance pour se disculper. Ils ont fait, oui – mais ils ne l’ont pas voulu.

3 – Plus intéressante, cette observation consistant à dire avec Ricœur que cette question suppose que soit résolue une autre question préalable : qui est l’agent véritable de l’action ? Ou si vous préférez : Qui donc a fait ce dont un parle ?

mardi 10 novembre 2009

Faut-il faire partir les gens qui viennent faire jouer leur chien sur mon terrain ?

Bonjour Dr Philo, voici: nous avons un très grand terrain que nous entretenons avec amour. Comme il n'est pas clôturé deux personnes viennent y faire jouer leur chien. La première fois je les ai informés qu'il s'agissait d'une propriété privée, ce qu'ils ignoraient. Mais depuis ils reviennent à tous les jours.

- Est-ce normal que ça m'agace au plus au point ou est-ce de l'égoïsme.

- Pourquoi ai-je tant de mal à leur dire de partir?

- Est-ce que je me sens coupable de posséder une si grande propriété que nous avons pourtant si difficilement gagnée?

Isabelle (Remarque sur ce Post)

Voici une question qui pourrait aussi bien être adressée au juriste et/ou au psychologue.

Si elle s’adresse au philosophe, alors c’est notre rapport à la propriété privée qui est interrogé

Car si on laisse (provisoirement) de côté la seconde questions, on est en présence d’une question typiquement rousseauiste.

C’est en effet Rousseau qui écrit que la propriété privée se définit par l'exclusion du droit des autres à faire ce qu'il veulent de notre bien : la propriété avant d’être un sentiment est une réalité qui se caractérise par l’exclusion des autres. Ma propriété c’est le domaine de ma vie privée, n’y entrent que ceux que j’ai autorisés. Et sur tout pas leurs chiens. Et surtout pas si c’est pour le souiller de leurs déjections.

La question n’est donc pas tellement de savoir pourquoi ça vous agace, puisque, étant donné ce qu’on vient de dire de la propriété, et vos envahisseurs étant dûment prévenus qu’ils étaient sur la votre, ils n’en tiennent pas compte, mais plutôt de savoir comment il se fait que vous vous sentiez « coupable » de posséder cette propriété», et pourquoi vous aviez des réticences à faire valoir vos droits.

Alors, on peut tenter plusieurs réponses :

- D’abord que vous êtes sans y penser plutôt rousseauiste (1) , et que vous ayez l’idée que la propriété privée n’est pas quelque chose de vraiment légitime ; je veux dire que l’humanité pourrait bien vivre sans que la propriété privée n’existe.

- En suite que, comme le dit également Rousseau (c’est dans le Contrat social cette fois), la propriété doit être proportionnée aux besoins humains et à ses capacités de travail (il s’agit toujours de la propriété du sol et donc de la dimension du champ nécessaire à faire vivre le paysan).

Néanmoins, comme vous le faites remarquer, ce grand terrain est proportionné à votre travail puisque vous l’avez dûment acheté avec vos émoluments. Simplement ce travail est en amont de la possession et non en aval (comme l’est le champ qui est légitimé par le travail agricole).

- Enfin, que cette manière d’exclure les gens soit pour vous une attitude peu recommandable moralement. Même si on n’est pas certains de vouloir aimer notre prochain comme nous-mêmes, néanmoins nous avons un vieux fonds humain qui nous recommande l’hospitalité pour le passant inconnu. C’est ce que croyaient les grecs : le mendiant qui sonne à ta porte est peut-être un Dieu déguisé qui vient faire du testing d’hospitalité.

Alors si vos envahisseurs – et leur chien – sont des Dieux, laissez faire.

Sinon, plantez donc une clôture et achetez un fusil.


(1) Voyez ce texte :

Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne. (Discours sur l’origine de la propriété, 2ème partie)