vendredi 20 mars 2009

Que vaut le refus ?

Je suis étudiant en troisième année en langues étrangères à Bordeaux. Il y a maintenant une semaine, le blocage de mon université a été décidé par étudiants et enseignants pour protester contre l'actuelle politique menée par le gouvernement dans le domaine de la recherche et de l'éducation. Depuis l'appel du président de la Sorbonne en février dernier, le mouvement prend de l'ampleur.
Des enseignants font désormais cours à la gare, dans les tramways, devant la mairie de Bordeaux.
Dans la rue, ils organisent le procès fictif de nos gouvernants.
Tous les jeudis, Bordeaux et les autres villes tremblent au rythme des manifestations, immobilisant les réseaux de transport en commun.
Pas de doute : le mouvement est bien organisé et impressionnant.
Devant tant d'opposition, je me demande la signification du refus dans l'existence. Que signifie dire non ? On pourrait bien entendu mentionner la notion de révolte (Camus). Qu'en pensez-vous ?

David.

La boite à questions


- Vous évoquez, cher étudiant bordelais, l’homme révolté de Camus, qui est celui dont toute la liberté – et donc toute l’humanité – s’est réfugiée dans le refus et dans la révolte.

J’en déduis que la question que vous posez est de savoir si le refus a un sens quand on le prend en lui-même, c'est-à-dire indépendamment de ce qui est refusé.

Que peut-on en penser ?

--> Nous suivrons pour nous guider de l’interprétation de Nietzsche dans un des plus célèbres textes : les trois métamorphoses de l’esprit, dans Zarathoustra, (voir le texte ici).

La première métamorphose fait de l’esprit un chameau qui réclame de porter les plus lourds fardeaux : le chameau ne refuse jamais rien. La seconde métamorphose est celle qui le change en lion, qui refuse l’obligation et combat le dragon de l’obligation morale : le lion refuse tout. La troisième est celle qui change le lion enfant : il ne refuse ni n’accepte, mais il affirme. Il dit oui à ses inventions et à ses jeux.

--> On peut distinguer selon moi trois sortes de refus : le refus pour le refus, puis le refus du changement – et plus particulièrement, le refus de ce changement-là qu’on prétend m’imposer, et enfin à l’opposé, le refus de l’immobilité.

1 - Le refus pour le refus, c’est ce qu’on pourrait nommer le nihilisme. Celui qui dit non, qui résiste pour le plaisir de nier et de refuser. Celui-là, c’est le lion dont parle Nietzsche : et si le nihilisme est intenable, alors l’on voit bien que le refus systématique n’est pas une attitude tenable en soi.

2 - En suite - et ce n'est pas spécialement dans le texte de Nietzsche, sauf à dire que c'est aussi le refus d'être le chameau qui dit oui à tout et à n'importe quoi - il y a le refus du changement qui me conduirait à devenir moi-même un autre. Ça veut dire qu’il y a des limites à ne pas franchir : un pas de plus en dehors de la situation actuelle et c’est toute la réalité qui bascule. C’est le refus du franchissement des limites – que ces limites soient des changements de direction (réforme des universités), ou alors des régressions (baisse du pouvoir d’achat).

Mais surtout, en refusant de devenir un autre, je refuse de me plier à la volonté d’autrui, c'est-à-dire d’abdiquer ma propre volonté.

Car c’est bien ce que réclame le Dragon de l’obligation : « Tout ce qui est valeur a déjà été créé, et c’est moi qui représente toutes les valeurs créées. En vérité il ne doit plus y avoir de « Je veux » ! Ainsi parle le dragon. ».

3 - Et puis, il y a le refus de l’immobilité : c’est alors que le non succède à un oui, qu'il le présuppose. Je refuse de faire ce qu’on veut que je fasse, parce que je veux faire ce que moi je considère comme étant le meilleur.

Pour comprendre le refus, il faut d’abord savoir qu’il est acquiescement. Nietzsche dit que c’est l’enfant qui est porteur du oui : « Mais, dites-moi, mes frères, que peut faire l’enfant que le lion ne pouvait faire ? Pourquoi faut-il que le lion ravisseur devienne enfant ?

L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation.

Oui, pour le jeu divin de la création, ô mes frères, il faut une sainte affirmation : l’esprit veut maintenant sa propre volonté, celui qui a perdu le monde veut gagner son propre monde. »

Mais si le refus a besoin du oui, le oui n’a pas besoin du refus, puisque l’enfant dans sa faiblesse ne peut lutter.

Reste que l’enfant vient après le lion. Et que le lion est là pour lutter contre le dragon. Sans lui, c’est la soumission


Résumons-nous :

- Le refus pris absolument est nihilisme ;

- Le refus comme relation s’oppose à la dénaturation de soi comme volonté

- Le refus présuppose l’affirmation ; il n’est justifié que par elle – sinon = nihilisme

Aucun commentaire: