Les philosophes ont l’habitude qu’on leur reproche de poser des questions inutiles.
Ainsi, en est-il du mensonge en politique considéré comme une pratique universelle, et donc comme une nécessité dont le politicien doit user sous peine d'échouer à exister : à quoi bon s’interroger sur le droit de mentir ?
Là où il y a nécessité, il n’y a pas à rechercher un droit. Ou plutôt, il n’y a plus de différence entre le droit et le fait. Tout le monde sait bien qu’il faut mentir aux électeurs pour être politiquement crédible. C’est peut-être dommage, mais c’est comme ça. Point-barre.
--> Docteur-Philo ne se laisse pas désarçonner pour si peu.
Laissant de côté les polémiques sur les éventuels bienfaits du mensonge, il va poser la question de la pureté en politique.
On connaît la thèse développée par Sartre dans Les mains sales : on fait la révolution et on tue pour cela au nom de la pureté. Oui, mais le héros, Hugo, qui refuse le mensonge et qui s’apprête à assassiner un dirigeant révolutionnaire qui veut cyniquement mentir au peuple, va finalement le tuer parce qu’il l’a fait cocu (c’est le mot juste). Si pureté n’est pas dans la vie, alors elle n’est pas non plus dans l’action.
Si elle n’y est pas c’est surtout parce que mon action va se mêler à celle des autres. Il n’y a pas – et principalement en politique – une action qui soit strictement individuelle (sauf peut-être celle de l’ermite, mais en quoi consiste-t-elle à part la prière ?). Dès lors que les autres peuvent s’emparer de mon acte et le transformer par leurs propres actes, alors la pureté des actes disparaît. Ou plutôt elle se rétracte et se réfugie dans les intentions. J’avais voulu le bien… Je n’avais pas voulu ça…
Bon. Le problème est qu’on risque de bénir n’importe quoi avec ça. Même les bourreaux nazis voulaient le bien de l’humanité – simplement l’humanité pour eux ça excluait tous ceux qui n’étaient pas aryens. La sincérité du choix serait-il donc le seul élément à prendre en compte, et un pieux mensonge laverait-il le menteur de sa faute ?
Si l’action politique n’est politique que dans la mesure où elle implique une communauté, alors il faut bien que quelque chose de communautaire relie les hommes qui lui sont soumis.
Thèse : la communauté politique est une communauté de sujets qui possèdent un lien leur permettant de vivre-ensemble.
- Si les hommes sont dans la vie politique des objets, alors il n’y a pas d’inconvénient à leur mentir, c’est une façon comme une autre de les manipuler, et seul le but poursuivis a alors de la signification.
Mais à partir du moment où ils sont aussi des sujets (au sens d’hommes libres de choisir et de se gouverner, comme en démocratie), alors leur mentir c’est leur refuser de connaître la réalité sur la quelle on leur demande d’agir ou de se prononcer.
- Le problème se complique quand on essaie de savoir comment se réalise ce qu’on appelle le « vivre-ensemble ». On peut en effet préférer la solidarité à la liberté – Oui, mais on peut aussi préférer sa mère à la justice (Camus). Entre la vie publique et la vie privée, des relations et des ruptures multiples demandent à être analysées très finement. Docteur-Philo fera ça un jour… peut-être.
Restons au niveau immédiat : comment vivre ensemble si le mensonge vient dissimuler la réalité des autres ? Si le mensonge est dissimulation, je ne vis, je ne parle qu’à des masques, jamais à des hommes réels.
Reste aussi à faire une distinction: en dehors du mensonge, on peut aussi reprocher à l’homme politique de ne pas s’engager dans ses propos. C’est celui qui dit : « Je ne vous mentirai pas… », et puis qui, après avoir promis, ne tient pas sa promesse parce qu’entre temps il a changé d’avis – par pragmatisme bien sûr.
Vous voyez de qui je veux parler ?
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