mardi 3 mars 2009

Pourquoi travaillons-nous ?

Docteur-Philo doit l’avouer : cette question, personne ne la lui a posée.

Et c’est pour cela qu’il veut la traiter : encore une lubie de vieil anarchiste ?

Pas seulement : Docteur-Philo comprend parfaitement pourquoi on ne la lui pose pas cette question.

C’est que, pour poser une question, encore faut-il que la réponse soit balancée entre plusieurs possibilités. Supposez qu’on demande : pourquoi respirez-vous ? Ce serait une question idiote, vu qu’on n’a pas le choix. Hé bien, pour le travail, c’est pareil.

Quoique…

Nous travaillons pour vivre, ça c’est entendu. Seulement, que faut-il pour vivre ? Peu de gens meurent complètement de faim ni de froid. Il y a bien entendu des malheureux sans toit au-dessus de la tête, mais c’est une minorité qui pourrait – qui devrait – disparaître avec le droit opposable au logement. Moi, j’ai eu des élèves venant de quartiers pauvres qui prétendaient connaître des gens assez paresseux pour préférer vivre du RMI plus tôt que de se lever le matin pour aller travailler.

Bref, comme le disait Aristote, les hommes ne veulent pas seulement vivre, mais encore bien vivre. Disons alors que le travail est pour nous le moyen de bien vivre.

Seulement voilà : n’y a-t-il rien de mieux à faire pour qui veut bien vivre ?

Déjà, il faut s’entendre sur les termes. Travailler, ce n’est pas seulement produire ; c’est produire pour vendre (que ce soit sa force de travail ou le produit de celle-ci). Disons donc que le jardinier qui cultive ses haricots, tant qu’il les récolte pour les faire cuire et les manger, il ne travaille pas. Mais s’il doit les vendre sur le marché, là il va commencer à travailler. Parce que ce qu’il va récolter, ce ne sont plus des haricots, c’est de l’argent.

Disons aussi que, là où il y a du plaisir, il n’y a pas de travail. Là où il y a de l’activité contrainte par un but extérieur (gagner de l’argent), il y a du travail. Même le peintre à la mode qui vend très cher ses toiles travaille si c’est pour répondre à l’attente du public qu’il peint. (1)

Donc : nous travaillons pour gagner de l’argent.

Mais alors, la question, c’est pourquoi donc faut-il gagner de l’argent ?

Demandez à votre petit RiKiki qui a trois ans, il vous le dira : Papa il faut qu’il gagne des sous pour me payer ma PS-2 ! Fichtre ! Il n’y va pas de main morte le petit… Mais et vous, de quoi avez-vous besoin ? Parce que si vous ne savez pas répondre à cette question vous ne saurez jamais pourquoi vous travaillez.

Hé voilà : j’en viens là où je voulais : les plus grands plaisirs ne sont sans doute pas ceux qui coûtent le plus cher, mais peut-être ceux qui demandent le plus de temps, et le plus de disponibilité.

Croyez-vous que ça coûte cher d’écrire une page pour son blog, ou de bricoler une omelette aux champignons qu’on va manger avec des amis ? Mais pour avoir des amis, il faut du temps à leur consacrer et ça, c’est du temps que votre patron n’aura pas.

--> Donc, pour se résumer, à la question Pourquoi travaillons-nous ? nous répondrons que nous travaillons juste de quoi vivre le reste du temps.


(1) S’il y a des lecteurs assez obstinés pour soutenir qu’on peut conjuguer les deux – plaisir et gain – alors je leur dirai d’accord, mais ça ne vaut que comme fragile équilibre, parce que dès que le patron va le décider, le plaisir du travailleur ne pèsera pas cher dans la balance.

2 commentaires:

Djabx a dit…

[...] à la question Pourquoi travaillons-nous ? nous répondrons que nous travaillons juste de quoi vivre le reste du temps.

2 questions:
_Qu'est-ce que vivre ? (Mangez des omelettes avec ses amis, écrire des pages de blog ?)
_Pourquoi vivons nous ? (pour écrire des pages de blogs ?)

Jean-Pierre Hamel a dit…

2 questions:
_Qu'est-ce que vivre ? (Mangez des omelettes avec ses amis, écrire des pages de blog ?)
_Pourquoi vivons nous ? (pour écrire des pages de blogs ?)

1ère question – je n’ai proposé qu’une certitude : la question n’est pas « qu’est-ce que vivre ? », mais « qu’est-ce que bien vivre ? ».
La réponse passe non pas par des cas précis, mais par des critères d’évaluation. L’un d’entre eux est celui de l’éternel retour : « fais ce que tu veux à condition de le supporter indéfiniment » (Nietzsche). Avec pour cas limite la volonté de sortir du cycle de la nature /besoin-satisfaction-besoin/, autrement dit de créer quelque chose, de faire ce que la nature n’a jamais fait à travers la succession des êtres vivants.
Ça, c’est Hannah Arendt, et c’est dans l’être-avec les autres qu’elle pense que c’est possible.
Donc, l’omelette comme façon d’être-avec des amis. Ou écrire des pages de blogs à condition d’avoir par là l’occasion de rencontrer des gens _passionnants_ qu’on n’aurait pas connus autrement.
2 – La réponse est dans le paragraphe précédent. Je dirai simplement que certains pensent que cette réponse est déjà fournie quelque part, dans les religions ou dans les écrits des philosophes.
D’autres pensent que la réponse n’existe que dans la vie de chacun, à condition qu’il s’attache à la trouver. Et donc qu’il refuse de la considérer comme tranchée à l’avance.
C’est mon point de vue.