mercredi 31 décembre 2008

Pourquoi se souhaiter la bonne année ?

Oui, c’est en effet une coutume très curieuse, que celle des souhaits. Elle est à la fois banale, les souhaits sont un peu comme on dit bonjour, faits sans penser à ce qu’on dit.

Et en même temps, il y a en eux une racine profonde qui ne demande qu’à s’exprimer pour peu qu’on l’interroge.

Dans le souhait, il y a plusieurs idées.

- La première est que des forces extérieures peuvent se mobiliser pour aider celui à qui on souhaite le succès. Ces forces sont magiques – ou du moins surnaturelles.

- La seconde est que cette mobilisation ne s’effectue que grâce à notre souhait. C’est une opération magique de la parole.

- La troisième, c’est qu’il y a toujours quelque chose à espérer.

- La quatrième est qu’il faut cette mobilisation pour que l’espoir de réussite existe.

… Stop ! Je n’irai pas plus loin.

Vous avez déjà compris que les souhaits de bonne et heureuse année sont insultants, ou du moins minorants pour celui qui les reçoit.

Il vaudrait mieux lui dire : « Mon vieux, je te connais, tu n’es pas de ceux qui ont besoin de vœux pour réussir dans tes entreprises. Je ne te souhaite donc rien du tout, et je te sers la main, en te disant : A bientôt ! »

--> Si l’on me répond que les vœux ne sont que l’expression de l’intérêt qu’on porte au bonheur de notre interlocuteur, je dirai : Pourquoi pas en effet…

Mais en même temps on voit bien que cet intérêt va avec l’incrédulité sur ses aptitudes à réussir par lui-même.


Pourquoi l’année débute-t-elle le 1er janvier ?

Docteur-Philo pourrait répondre ce que chacun sait : cette date a été choisie par commodité, et non par une nécessité liée au temps astronomique. D’ailleurs les dates les plus variées ont été instituées en des lieux et en des temps différents (comme le 30 août, le 1er septembre, le 25 mars, le 1er avril, etc.)

Mais si vous sollicitez Docteur-Philo, c’est pour avoir la réponse du philosophe, n’est-ce pas ?

La voici : une origine peut-être définie par commodité, comme ici. Mais elle peut aussi coïncider avec l’origine première du phénomène. Votre anniversaire est en même temps la date de votre naissance. Même si vous êtes né un 25 décembre (ou, pire, un 29 février) vous ne pourrez pas la déplacer comme ça, simplement parce que ça vous fait plaisir.

Comme on ne sait pas quel jour a eu lieu le Big-Bang, essayons de spéculer sur la date de la création de la terre par Dieu.

Certes, la Genèse n’en dit rien. Mais des théologiens très savants se sont penchés sur le problème, et ils ont conclu que Dieu avait créé la terre au Printemps.

Oui, au printemps. Car le printemps, avant d’être le renouveau, a été le nouveau tout court.

C’est donc au printemps que la terre est apparue et avec elle les plantes, les animaux et l’homme.

La date du nouvel an devrait donc être fixée à l’équinoxe de printemps, soit pour cette année le 20 mars.

Vous avez donc touts les arguments nécessaires pour exiger de nouvelles gratifications à votre patron pour cette date.
Merci Docteur-Philo !

mardi 16 décembre 2008

Peut-on réellement être amoureux et objectif ?

- l’amour est un sentiment

- l’objectivité est une caractéristique de la connaissance.

--> Donc à moins de dire que les sentiments produisent de la connaissance, être amoureux et être objectif sont deux registres de l’existence qui n’ont pas forcément de rapports.

1 - Toutefois…

On entend bien sûr l’objection qui consiste à dire que l’amour est aussi une évaluation de l’objet aimé. Comment aimerait-on si on ne ressentait en même temps la perfection de l’être aimé ?

- L’idée la plus courante est que l’amour nous aveugle.

Descartes dans une célèbre lettre (à Chanut, 6 juin 1647) raconte comment étant jeune la première fille qu’il aima louchait. Dès lors il fut attiré par toutes les filles qui avaient un strabisme ; c’était une sorte de réflexe conditionné, quelque chose d’irréfléchi qui ne relève pas de la connaissance, puisque les qualités de l’être sont complètement laissées à l’écart.

« Ainsi, écrit-il à Chanut, lorsque nous sommes portés à aimer quelqu'un, sans que nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu'il y a quelque chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous avons aimé auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que c'est. »

Toutefois, l’aveuglement n’est pas la qualité de l’amour, il en est une déformation – j’allais dire une perversion.

Si l’amour est aveugle, alors il doit disparaître, comme le dit encore Descartes dans la suite de sa lettre : voyant qu’il aimait pour une imperfection (le strabisme), il s’est débarassé de cette attirance.

- L’amour doit donc être visionnaire.

Platon disait qu’il était évident que le désir s’applique seulement à ce qui est beau et bon, et que jamais le laid ou le mauvais ne sera aimé. L’amour et un moyen pour trouver ce qui a de la valeur, et comme le beau et le bon vont ensemble, l’amour est le moyen pour accéder à l’absolu.

L’amour est objectif, mais ce qu’il voit avec objectivité est au-delà de l’apparence qui s’offre à tout un chacun : à l’opposé de l’amour aveugle on a affaire ici à l’amour visionnaire, celui qui voit l’excellence de l’âme…

2 – Re-toutefois :

La question qui nous a été posée, nous a imposé d’admettre que les êtres avaient une qualité objective, c'est-à-dire valable indépendamment du jugement que l’on porte dessus : la pomme est rouge, et si je la vois grise, je suis daltonien et c’est tout.

Nous avons dû supposer que les êtres aimés possèdent cette qualité objective, et que l’amour soit une certaine façon d’éprouver cette qualité – que dis-je ? De la détecter plutôt.

- Spinoza disait quant à lui que nous ne sommes pas appelés par les choses mais que c’est nous qui les désignons : nous ne désirons pas une chose parce qu’elle est bonne, disait-il, mais elle est bonne parce que nous la désirons.

Allez poser la question de l’objectivité après ça !

mardi 2 décembre 2008

La liberté consiste-t-elle à choisir ?

Est-on réellement libre de faire des choix ? Je vous écris docteur philo car cette question m'interpelle depuis quelque temps déjà : il est certain que la "liberté du choix" repose la plupart du temps sur des conventions sociales qui ne sont des obstacles que si on les considèrent comme tels, mais, pour tout les autres (je pense par exemple au cas où une mère doit choisir entre ses enfants) qu'en est-il ?

La boite à questions

Si vous avez un cours de philo sous la main allez voir le chapitre Déterminisme et liberté. Sinon, il y en a une flopée sur le net (par exemple ici pour les textes, et là pour le cours).

Bon.

Maintenant on peut aussi légitimement se demander d’où vient votre question du choix.

En général on s’interroge sur la liberté de choisir, parce qu’on estime que sans liberté de choisir pas de liberté du tout. C’est ce qu’on appelle habituellement le libre arbitre.

Seulement on est vite pris en tenaille entre deux excès : ou bien le choix est entièrement libre et alors il est arbitraire, ma liberté a autant de sens que si je tirais à pile ou face. Ou bien le choix est toujours conditionné et alors il n’est qu’une illusion dont sont victimes les ignorants ou les naïfs.

1 - Si nous sommes persuadés que la liberté de choisir est la condition fondamentale de la liberté, alors nous devons considérer aussi que notre action n’est pas fondée sur ce que nous sommes. Sans quoi, nous n’aurions évidemment pas le choix, puisqu’on ne ferait que réaliser ce que notre nature nous porte à faire.

--> Contre quoi, il y a une très longue tradition qui, en philosophie, identifie la liberté au pouvoir de réaliser ce que l’on est – et non pas au pourvoir de choisir. Chez les auteurs modernes, on peut se reporter à Bergson (Essais sur les données immédiates de la conscience, ch 3) : la liberté n’est autre que le déploiement de l’être, ce par quoi il devient ce qu’il était implicitement. Mais on devrait se référer à Spinoza pour avoir une critique en règle du libre arbitre et l’identification de la liberté à cet effort pour devenir ou pour rester soi-même (le conatus).

2 - Un livre récent fait allusion au dilemme de la liberté : il s’agit du livre de Giogio Agamben, le règne et la gloire (Homo sacer, II, 2) ; en particulier le chapitre 3 « Etre et agir ».

On serait selon lui en présence de la difficulté posée par l’affirmation que Dieu a crée le monde, et que par Jésus Christ il continue d’y agir.

En effet, chez Aristote, il n’y a pas de création. L’action de Dieu n’est autre que l’attirance suscitée par le premier moteur immobile (= Dieu) sur le cosmos (= monde). Mais s’agit-il d’une action ? Autrement dit, pour Aristote, l’action et l’essence de Dieu sont identiques. Etre et agir vont de paire ; le choix libre n’a rigoureusement aucun sens.

--> Par contre avec un Dieu éternel qui agit dans le temps par la création et dans l’histoire par Jésus Christ, on a une difficulté : Jésus est venu au monde par la volonté du Père, mais celle-ci ne peut-être une conséquence d’une décision située dans le temps – puisque Dieu est éternel et que, ce qu’il veut, il le veut de toute éternité.

Ainsi, l’action de Dieu ne peut être fondée sur son être, donc elle relève d’un mystère total.

Alors, voyez la conception de la liberté Kantienne. Pour Kant, la liberté suppose une forme de libre arbitre dans la mesure où elle implique que ce choix soit inconditionné (sans cause préalable). Seulement comme tout dans notre existence a une cause antécédente (si je décide de me marier, il y a eu avant ce choix un contexte social, un désir, etc..), je ne peux jamais être sûr de choisir tout à fait librement (puisque liberté=être cause première). Il ne me reste plus dit Kant qu’à poser que le libre arbitre doit exister, que c’est même là un postulat de la raison pratique.

Bref on a bien là un acte de foi.

lundi 24 novembre 2008

Qu’est-ce qu’une citation ?

Cher docteur philo, ma question est beaucoup plus simple que celle des précédants commentaires mais je ne peux m'empêcher de me la poser depuis que je lis votre blog : " A partir de quel moment peut-on distinguer une citation d'une phrase comme une autre? Il est bien évident que les citations manient des concepts mais après tout, s'il on formulait de manière plus recherchée certaines phrases ne pourrions-nous pas apparaître dans les feuilles roses d'un dictionnaire ? Les citations sont-elles uniquement réservée aux personnalités disposant d'une certaine notoriété ?
La boite à questions

Il s’agit bien sûr du Blog de mon alias intitulé La citation du jour. Excelllllente lecture !
La question porte sur la notion de citation, son contenu et ses limites.
Le premier point porte sur la définition : une citation n’est autre qu’un texte extrait d’un texte plus long et surtout – c’est essentiel – écrit par un autre auteur, généralement référencé et indiqué comme tel.
N’importe quel texte peut-il servir à faire une citation, ou bien faut-il
1) Une certain contenu (des « concepts » comme il est dit ici)
2) Etre un auteur d’une certaine notoriété ?
Bien entendu on devine derrière ces présupposés un usage de la citation que je qualifierai de « scolaire » comme quand on dit que pour faire une dissert de philo il faut des citations – de philosophes, bien sûr (certains de mes élèves allaient jusqu’à inventer des citations adaptées à leur propos, qu’ils attribuaient faussement à un philosophe : c’est très mal).
Donc :
1 – Comment distinguer une citation d’une phrase quelconque ? Et en particulier faut-il un contenu conceptuel particulier ?
Beaucoup de textes peuvent devenir des citations il suffit pour ça qu’ils soient … cités.
Simplement si on produit une citation, c’est pour obtenir un certain effet de la part de l’auditoire : d’où l’importance de la notoriété. Ou bien – et c’est là la véritable raison d’être des citations – parce qu’on n’a pas trouvé mieux pour dire ce qu’on pense ; ou même – mieux encore – parce qu’on n’a commencé à penser ce qu’on dit qu’à partir du moment où on a découvert la citation en question. Et là c’est au contenu qu’il faut faire appel.
Seulement pourquoi faudrait-il que ce contenu soit conceptuel ? On cite très régulièrement des poètes, et il n’est pas dit qu’ils utilisent des concepts.
2 – Quant à la notoriété de l’auteur, on a vu qu’elle n’a pour intérêt que d’en imposer, à moins que l'effet recherché soit la mise en perspective dans le contexte de l’œuvre. Si je cite Descartes ou Céline, il est clair que c’est pour mieux situer la pensée évoquée dans un certain contexte et que chacun pourra restituer grâce à sa culture. Et ainsi :
--> citer, c’est faire appel à la culture de l’auditeur ; à moins que ce ne soit que pour en souligner l’absence : c’est l’usage « terroriste » de la citation – à éviter).
Je dirai donc qu’il est complètement idiot de citer un auteur rien que pour sa notoriété (voir les citations de Le Clézio, Post du 24 octobre 2008). Simplement, si comme on l’a vu le contenu de la citation n’est pas forcément conceptuel, il doit être néanmoins exemplaire.
3 – La citation du jour mettra le 27 novembre prochain en ligne un post où l’un découvre des hommes célèbres faisant des citations : Montaigne cite Plutarque, Charron cite Montaigne, Descartes cite et Montaigne et Charron. On y verra l’usage que chacun fait de la citation qui en principe est au départ la même. On verra que la citation n’est pas une caution apportée à une pensée un peu trop timide pour affronter tout seule le jugement de ses censeurs.

mercredi 19 novembre 2008

Fait-on le bien pour soulager sa conscience ?


Cher docteur philo,
Je vous consulte afin d'obtenir un semblant de réponse à mes questions, qui, somme toute sont d'une banalité assez désopilante : […] "choisit-on d'accomplir de"bonnes actions" afin de soulager notre conscience ?"

La Boite à questions

Choisit-on d'accomplir de « bonnes actions » :

1er présupposé : en présence du bien, on a le choix de le faire ou de ne pas le faire.

C’est ce que disait Médée : Video meliora proboque, deteriora sequor (Je vois le bien et je l'approuve, et c'est au mal que je me laisse entraîner) – Ovide, Les Métamorphoses, Livre septième (1)

C’est donc que le bien n’a pas un poids suffisant pour déterminer l’action : il faut une cause supplémentaire.

Mais si cette cause existe, et qu’elle n’est pas le bien, est-elle le mal ? Est-on dans l’alternative : ou le Bien – ou le Mal ?

Si c’est le Mal qui nous détermine, alors on pourrait dire en effet que le bien nous sert à soulager notre conscience : tantôt je jouis de faire le mal ; tantôt je me rachète en faisant le bien. Et donc quand je fais le bien, j'ai quand même la petite jouissance vicieuse qu'est l'égoïsme et l'amour de soi. Tout La Rochefoucauld est là. Et le soulagement de la conscience aussi.

Mais on pourrait objecter alors qu’il n’y a pas un bien, mais plusieurs. Ainsi, il y aurait le bien des « bonnes actions » définies et balisées par l’ordre moral. Et puis il y aurait le bien de l’individu, celui qui coïncide avec son mérite, et non avec la médiocrité des actions que tous peuvent accomplir. C’est ainsi que Raskolnikov réclame le droit au crime : Si un jour, Napoléon n’avait pas eu le courage de mitrailler une foule désarmée, nul n’aurait fait attention à lui, et il serait demeuré un inconnu.

Pour la suite sur le bien unique, voir ce post.

afin de soulager notre conscience ?

2ème présupposé : il y a un rachat possible.

Si je fais le mal, je me rachète en faisant une « bonne action ». C’est ainsi que les piétistes pensaient que Dieu devait ouvrir son paradis à tous ceux qui auraient accompli des actions vertueuses au cours de leur existence, quelque soit leur corruption morale par ailleurs.

Objection : on le sait, cette idée n’a pas eu cours chez tous les chrétiens. Les uns prétendent que le repentir est nécessaire, autrement dit que la bonne action ne rachète rien du tout. D’autres (les Jansénistes) estiment même que Dieu seul peut décider en toute souveraineté du rachat, autrement dit qu’on ne peut absolument pas soulager sa conscience, mais simplement accomplir des bonnes actions au cas où Dieu aurait la volonté de nous sauver.

Conclusion de Docteur-Philo :

--> Il y a quelques jours, quelqu’un me demandait : à quoi ça sert la vertu ?

J’ai répondu : la vertu ça sert à être heureux, c'est-à-dire à mériter « l’estime raisonnable de soi ». Estime qu’on s’attribue à soi même pour des bonnes actions, reconnues par nous comme telles.

S’il y a rachat, que je me débrouille avec ma conscience, soit. Mais ça doit être raisonnable, c’est à dire justifiable.

Si c’est Dieu qui décide de ce qui est vertueux ou vicieux, et s’il nous rachète à condition que nous ayons fait de bonnes actions, alors celles-ci entrent dans la morale par la petite porte. Elles n’ont pas plus d’importance que la pénitence au terme de la confession. Tu feras l’aumône aux pauvres – ou alors tu diras trois paters et deux aves.



lundi 17 novembre 2008

Est-il nécessaire de trouver un sens à sa vie pour la vivre pleinement ?

Cher docteur philo,
Je vous consulte afin d'obtenir un semblant de réponse à mes questions, qui, somme toute sont d'une banalité assez désopilante : tout d'abord : "Est-il nécessaire de trouver un sens à sa vie pour la vivre pleinement ?" et "choisit-on d'accomplir de"bonnes actions" afin de soulager notre conscience ?"

La Boite à questions

(Docteur-Philo prend aujourd’hui en considération la première question)

Le 31 mars 2008, Docteur-Philo publiait un Post intitulé : Quel est le sens de la vie ?

Au cours du débat qui suivit, se dégagea l’idée que le choix du sens de la vie est consubstantiel à la vie, autrement dit que même si on refuse ou on « oublie » de choisir on le fait quand même par défaut.

Ça veut dire :

1 – Si nous ne trouvons pas de sens à notre vie, alors elle est absurde.

L’absurdité de la vie réelle (« je ne l’ai pas voulue », ou bien : « personne en m’a écouté quand j’ai dit que je voulais être rock-star ou danseuse étoile ») n’est en fait que le corrélat de ma lâcheté ou la conséquence de choix que je n’ai pas su tenir jusqu’au bout. Nous sommes responsables de ce que nous sommes devenus (voir ci-dessous).

2 – Vivre pleinement, c’est se reconnaître dans les choix qu’on a faits et dans ceux qu’on peut encore faire. Mais il faut tenir compte du coefficient de résistance du monde. Il est clair que pour un petit gars des quartiers, la vie ne se présente pas pareille que pour un fiston de Neuilly.

Ce qui compte, et là encore je me réclame de Sartre, mais c’est un choix sans doute parmi d’autres possibles, c’est ce que j’ai réussi à faire avec ce qu’on à fait de moi.

C’est donc l’estime raisonnable de soi (Kant) qui est la mesure de la réussite de ma vie.

vendredi 14 novembre 2008

D'où vient l'amour ?


Depuis quelques temps je me pose une question d'apparence simple: Est-il possible d'aimer, si on n'a jamais reçue d'amour nous même? A l'inverse, est-il possible d'aimer si on n'a connue que l'amour?

Enfin, je me demandais s'il était possible de généraliser ces questions à d'autres sentiments/notions.

Ces questions sont en partie liées à la maltraitance des enfants (par exemple): comment un enfant maltraité devenue adulte pourrait ne pas refaire ce qu'il a subit plus jeune.

La boite à questions


D’où vient l’amour ? Faut-il avoir été aimé pour aimer à son tour ? Faut-il savoir ce que c’est que la haine pour savoir ce que c’est que l’amour ?


Voilà un maquis de questions bien rebutant... Et en plus ces questions portent sur l’amour, sentiment dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’il désigne des situations ou des affects hétérogènes – très hétérogènes même…

Tout cela rebuterait qui conque s’y attellerait, mais pas Docteur-Philo. Lui, il n’a pas peur : il y va à la machette.

La question de l’origine de l’amour est de celles qui intriguent depuis la plus haute antiquité : les grecs et les latins ayant décrété que c’est un petit Dieu (Éros ou Cupidon) qui plante la flèche de l’amour, il est clair qu’il n’est pas besoin d’avoir appris à aimer, ni même de justifier des vertus de l’être aimé. C’est comme ça et voilà tout.

Mais nous, qui ne croyons plus à l’origine surnaturelle de nos passions, nous ne sommes pas plus avancés pour autant. Heureusement le Docteur Sigmund est là qui nous vient en aide. (1)

--> Or donc, sachez que l’amour est comme un tunnel qu’on creuserait par les deux bouts en même temps. Il est clair que celui qui creuse le plus vite est aussi celui qui occupe le plus de terrain. Par un bout, l’amour est l’œuvre de la libido (ou si vous préférez de la sexualité). Par l’autre, il est l’œuvre de la tendresse, sentiment hérité de la sensation de sécurité et de confort apporté par la mère – ou celle qui en tient lieu – au nourrisson.

Il y a deux expériences de l’autre qui sont requises ici :

1 – celle de l’inefficacité de l’autoérotisme et de la nécessité d’en passer par le corps du partenaire.

2 – celle que fait tout nourrisson du bienfait apporté par la mère. Bienfait qui sera retrouvé dans la relation amoureuse sous forme de tendresse, qui se développe en marge de la sexualité – les caresses deviennent alors du nursing.

Donc, si l’on récapitule, plus vous avez envie de sexe, moins vous aurez de tendresse. Plus vous aurez de tendresse, moins le sexe aura d’importance.

Bien entendu dans tout, ça pas trace de contraste de sentiment. L’amour n’a pas besoin de contre champ pour être visible.

Quoique… Là encore le Dr. Freud nous invite à plus de circonspection.

On a admis plus haut que la libido n’avait pas à être enseignée, elle est en nous primitivement : c’est la pulsion de vie. Mais en réalité elle n’est pas toute seule. Elle est accompagnée de sa sœur jumelle : la pulsion de mort. On peut aussi les appeler Eros et Thanatos : ça sonne mieux.

Pour éviter les interprétations hâtives (l’instinct de mort, Mesrine…) disons que la pulsion de mort est la tendance qui nous pousse à jouir de la destruction, du démembrement, de l’éparpillement de ce qui a été construit, de ce qui est organisé. La guerre en est un exemple. Le petit enfant qui piétine sur la plage avec des cris de joie le château de sable du voisin en est un autre.

La pulsion de vie quant à elle fonctionne à l’inverse : elle tend à accroître sans cesse les dimensions, ou l’importance de ce qui existe, et donc la procréation sous toutes ses formes fait partie de cette tendance. La libido n’en est qu’une forme parmi d’autres.(2)

Dernier point : Eros et Thanatos sont conjointement à l’œuvre dans nos actes d’amour ou de haine. C’est ce qu’on nomme l’ambivalence des sentiments. L’amour que nous portons à un être résulte du refoulement de la haine que nous éprouvons aussi pour lui. Et réciproquement.

Donc l’enfant maltraité, qui maltraite aussi devenu adulte, est simplement un être qui a appris qu’on n’a pas à refouler son désir de destruction.

Dur…


(1) Freud – Trois essais sur la théorie de la sexualité.

(2) Outre l’union sexuelle qui accroît effectivement notre corps par la possession du corps de l’autre (« la bête à deux dos » dira Rabelais), il y a la procréation de la famille ; mais il y a aussi le cercle des amis, ou le développement d’une association, etc…

mardi 11 novembre 2008

Qui sont les étrangers ?


Aux termes de l’ordonnance du 2 novembre 1945, toujours en vigueur, sont considérés comme étrangers « tous les individus qui n’ont pas la nationalité française, soit qu’ils aient une nationalité étrangère, soit qu’ils n’aient pas de nationalité » (art. 1).

Autrement dit, l’étranger c’est celui qui réside normalement de l’autre côté de la frontière.

La réponse juridique comme toujours est d’une simplicité confondante, mais elle ne sert pas vraiment pour démêler la complexité des attitudes réelles vis-à-vis de ceux qui sont considérés comme étrangers.

Si on s’en tenait là en effet on se contenterait de donner une caution juridique aux propos de nos concitoyens qui affirment que nous sommes chez nous, et que quand quelqu’un vient sonner à notre porte, nous pouvons refuser de lui ouvrir ou le mettre dehors s’il est déjà dedans.

Mais on sait bien que tous les étrangers ne le sont pas au même degré. Et que les citoyens français ne sont pas tous aussi français les uns que les autres…

Il faut donc comprendre quelle est notre attitude vis à vis de l’étrangeté, pourquoi le rejet, parfois violent, de ceux qu’on ne veut pas considérer comme nos semblables est cautionné par ce jugement : « ce sont des étrangers. »

--> Les racistes se reconnaissent au fait qu’ils estiment que certains sont par nature des étrangers, entendez qu’ils le resteront toujours quelque soit leur position sociale, quelle que soit leur nationalité. On en a entendu quelques uns, américains blancs qui considéraient que les noirs ne seraient jamais vraiment des citoyens américains.

Pour ces gens là, c’est la nature qui fait les étrangers. Il faut dire aussi que dans les cas les plus radicaux, l’étranger est le non-humain, comme l’a été le juif, le nègre, l’indien. La limite qui sépare l’humanité de l’inhumanité traverse alors le genre humain en plein milieu.

--> Le plus souvent, les étrangers sont simplement étranges, c'est-à-dire qu’ils n’ont pas la même culture, les mêmes vêtements, les mêmes noms que nous autres.

Il faudrait dire aussi que ces gens sont inquiétants, comme Freud le montre dans son article « Inquiétante étrangeté » – c’est l’Unheimlichkeit – qui qualifie la peur devant la différence.

Le critère qui définit l’étranger est donc psychologique, et on trouve des étrangers partout où sont ceux qui font peur, comme les barbares qui peuplent nos banlieues quand elles sont des zones de non-droit.

[Se rappeler de la réponse de Mac Cain, à une interpellation dans le public lors d’un de ses récents meetings. On lui crie « Obama est un arabe ». Mac Cain répond : « Madame, je dois vous dire que le sénateur Obama n’est pas arabe : c’est un bon père de famille ». Texto.]

--> Au lieu de dissoudre le concept d’étranger dans les relations sociales, certains philosophes en ont fait une conséquence de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus authentique: c’est la réalité humaine (dasein) qui constitue la réalité de l’étranger. Nous sommes tous – en puissance – des étrangers.

- Tel est le cas de Sartre pour qui l’étranger est un homme qui est tenu pour tel par les autres hommes (Cf. Réflexions sur la question juive) : puisque l’homme n’a pas de nature préétablie, que toute sa réalité consiste dans le pouvoir de se choisir lui-même, alors par un retournement caractéristique de cette nature, il peut aussi être défini par les autres (ou plutôt : accepter de se définir comme les autres veulent qu’il soit). Et alors il peut être défini comme le non-homme : c’est ainsi que le juif est celui qui est considéré comme juif par les autres. [Ou encore le petit Momo de La vie devant soi, de Romain Gary, qui ne sait pas qu’il est arabe, parce que personne ne l’a encore insulté.]

--> Être étranger, ce n’est pas avoir une nature particulière, ni même une culture différente des autres, pas plus qu’un aspect physique remarquable (les juifs n’étaient pas forcément reconnaissables, au grand désespoir des Nazis).

Un homme peut m’être parfaitement étranger, si je refuse de le regarder comme un homme, c'est-à-dire comme mon semblable.

jeudi 30 octobre 2008

Le vide est-il préférable au manque ?


Docteur-Philo s’interroge... Ne s’agirait-il pas là d’un sujet de dissertation qu’un néo-terminale voudrait lui faire traiter ?

1 – D’abord Madame Michu sa voisine a confirmé qu’elle ne s’intéressait pas à un tel sujet, et il sait que les philosophes de la planète-média ne traitent que des questions d’ordre morales ou politiques (et ici même…).

2 – En suite parce qu’une question pareille demande une étude conceptuelle et une construction de la problématique qui suppose un contexte dont elle sert à contrôler la possession, comme le font parfois les professeurs de philosophie (à moins qu'ils ne désirent noyer leurs jeunes élèves en leur donnant un sujet impossible ... pour leur faire prendre conscience de leur vide - ou de leur manque???).

3 – Et enfin, il faut avouer que le vide est plus souvent opposé/rapporté au néant qu’au manque.

...Enfin… On ne se refait pas, et notre ami Docteur-Philo se sent l’envie de faire quelques remarques sur le sujet. Il nous demande de préciser qu’il ne s’agira pas d’une réponse ordonnée et exhaustive à cette question qui réclamerait comme on vient de le dire une longue recherche.

Si nous nous en tenons aux concepts élaborés dans le cadre de thèses philosophiques :

- Le vide est l’élément clé du matérialisme antique. En effet, pour créer les êtres qui constituent le monde, Epicure par exemple avait besoin d’atomes … et de vide, pour que leur mouvement puisse se développer. La question était de savoir si le vide était une substance ou non. Car dans second cas, rien d’autre que les atomes n’existaient vraiment (une seule substance = monisme / par opposition au dualisme).

Des conceptions mécanistes – et donc « matérialistes » elles aussi - telle que celle de Descartes nieront que le vide existe, puisque tout mouvement est un mouvement produit par le contact d’un mobile. On sait que Pascal ironisait là-dessus en disant que Descartes avait quand même eu besoin de Dieu pour donner la pichenette qui a initialement ébranlé cette majestueuse machine.

Ajoutons que le vide peut fort bien « contenir » de l’énergie, comme dans le cas du vide quantique. Et que de toute façon il ne saurait se confondre avec le néant qui anéantit tout être, alors que l’atome se déplace fort bien dans le vide sans disparaître.

- Le manque, quand à lui suppose un être par rapport au quel il manque.

- a - Sartre (1) – reprenant si je ne m’abuse le Banquet de Platon – affirme qu’il y a là une trinité (entendez qu’aucun de ces éléments ne saurait exister sans les deux autres):

- le manque (ce qui manque)

- l’existant (ce à qui il manque)

- la manqué (la totalité constituée par le manque plus l’existant)

- b – Spinoza identifie le manque à l’inachèvement. Ce qui l’inscrit dans une perspective génétique ou dynamique comme on veut. Ici, le manque s’oppose à la réalité complète qui pour Spinoza est toujours la perfection étant donné qu’on ne peut rien lui demander de plus (on ne va pas reprocher au chien de ne pas parler vu qu’il n’est pas dans sa nature de chien de le faire – il ne lui manque même pas la parole)

--> La question qui nous est posée suppose l’étude du rapport entre ces deux concepts (et non leur étude successive).

On voit que :

1 – Le manque et le vide ont ceci en commun de posséder une certaine forme d’existence, l’un étant un existant par défaut (le manque), l’autre un existant qui n’a pour seule propriété de ne pas anéantir l’existant (voir définition du vide ci-dessus).

2 – Que la confusion entre le vide et le manque vient d’un maniement imprudent de ces concepts par un amoureux transi (Un seul être vous manque et tout est dépeuplé).

3 – Et que l’on pourrait faire du vide et du manque les deux éléments sans les quels la condition humaine ne saurait se concevoir : le vide comme condition de la liberté (2); le manque comme condition du désir.


(1) L’être et le néant II, 1, 3

(2) Objection : chez Sartre c'est le néant - et non le vide - qui la condition de la liberté.

Je ne traiterai pas cet aspect : il faut bien qu'il vous reste quelque chose à faire...

jeudi 23 octobre 2008

Y a-t-il des victimes innocentes ?


Les gens qui craignent les paradoxes sont priés de passer leur chemin : ce Post n’est pas fait pour eux.

Les autres savent que derrière un paradoxe se cache souvent une vérité. Ils vont se demander qui pose la question d’aujourd’hui.

Et dès qu’on aborde le problème sous cet angle, tout s’éclaire. C’est le bourreau qui pose la question : Connaissez-vous des victimes innocentes ? Et la réponse apparaît aussitôt : toute victime de la loi est un coupable qu’on châtie.

Et de citer la fable de La Fontaine : Le loup et l’agneau (1) : le loup s’érige en juge de l’agneau qui ne sera dévoré qu’après avoir été condamné.

Mais on va voir qu’il n’y a pas que les criminels subissant leur châtiment qui soient coupables.

Si nous laissons de coté les sacrifices qui font de la victime un être sacrifié à une divinité (et alors la victime doit être pure pour que le sacrifice soit agréable aux Dieux), la victime désigne un être qui subit les conséquences fâcheuses d’une situation ou d’autrui, alors la victime est la contrepartie du mal. Etre victime, c’est prouver que le mal existe.

1 – Première thèse : Nietzsche

Pour lui, il y a deux façons de localiser le mal, ou plus exactement d’évaluer l’être.

- Chez l’être dominé parle ressentiment, le mal est localisé dans l’autre, celui qui lui inflige la douleur. Toi qui me fais souffrir, tu es mauvais parce que moi, qui souffre, je suis bon.

- Chez l’être qui est animé par une force dominante, l’évaluation est symétrique : je suis bon, donc tu es mauvais. Et c’est pour ça que tu souffres – ou : que j’ai le droit de te faire souffrir, comme chez La Fontaine.

2 – Deuxième thèse : René Girard.

Selon René Girard dans une société quelconque, la violence latente résultant des traumatismes subis par le groupe ne peut s’évacuer qu’en s’exerçant sur une victime expiatoire. C’est le bouc émissaire de la Bible qui sert ici d’emblème.

Dans chaque cas de malheur, il faut un coupable. Non pas forcément pour rétablir la justice, encore que ce soit mieux : la victime du châtiment est alors objectivement coupable.

Mais cela ne doit pas occulter que le châtiment a aussi pour fonction de soulager ceux qui ont souffert. Ne voit on pas lors de la révision d’un procès qui acquitte finalement le présumé coupable, les victimes devenir enragées, parce qu’on leur a pris « leur » coupable ? Mieux vaut un "coupable" innocent que pas de coupable du tout.

Ça ne veut pas dire bien sûr que toute victime soit coupable. Mais que celles qui ne le sont pas pourraient bien le devenir.


(1) Fable que mon excelllllent ami J.P. Hamel a traité dans son blog (post du 21 mars 2008, mais malheureusement sans s’arrêter sur ce point délicat)

vendredi 17 octobre 2008

Qu’est-ce qu’une crise ?


J’étais entrain de faire la sieste, quand le téléphone s’est mis à sonner.

- Allo ? Docteur-Philo ? J’entends parler de crise à tout bout de champ, et personne ne prend la peine de me dire ce que c’est, de quoi on parle. Pourriez vous éclairer ma lanterne ?

Ah... Cher interlocuteur, si vous saviez combien de fois j’ai dû répondre à cette question depuis plus de 30 ans… A un tel point que j’ai piraté le dessin de Wolinski (à qui je demande bien pardon) pour le mettre à la place de ma réponse (1)

Mais enfin, devant le désarroi suscité par l’abus du terme dans les médias actuels, je veux bien ressortir mes fiches jaunies par le temps.

Crise du grec krisis signifiant action de choisir, la crise est originellement le moment décisif dans un processus, et d’abord dans une maladie.

La crise est en effet un terme originellement médical, sens qu’il a gardé en français jusqu’au XVIIème siècle. A ce moment il prend un sens figuré, et plus particulièrement politique au

XVIIIème siècle.

--> On doit donc comprendre que les deux paramètres qui caractérisent la crise sont :

- d’abord la soudaineté. La crise est une rupture inattendue dans un processus régulier.

- ensuite la brièveté : la crise ne saurait durer, puisqu’elle ne dure que le temps que s’établisse en état plus stable. Bien entendu, cet état n’est pas forcément évolutif, puis que la crise finale entraîne la mort.

--> Le problème que nous rencontrons en ce moment est de savoir :

- s’il s’agit d’une crise ou bien si celle-ci ne serait pas confondue avec un chaos permanent lié à l’irrationalité de la déréglementation financière. Au quel cas rien d’autre ne viendrait s’annoncer par là.

- s’il s’agit d’une crise ou de plusieurs crises empilées les unes sur les autres (à savoir : financière, bancaire, économique, sociale, politique).

- si on doit considérer ces crises comme une chance : un nouvel ordre mondial plus juste et plus efficace va-t-il s’instaurer ; ou comme un malheur : annonce-t-elle la mort du système.

Mais au fait : serait-ce un malheur ?


(1) Si vous voulez le voir, c’est ici

vendredi 3 octobre 2008

Comment une croissance peut-elle être négative ?


Je vois que vous êtes comme moi : tout docteur de philosophie que je sois, j’ai mal aux oreilles quand j’entends dire que la récession, est avérée après 2 trimestres successifs de « croissance négative » du PIB.

Croissance négative ? Quésaco ?

En fait, je crois qu’il y a contamination de deux expressions différentes :

- d’une part celle de croissance du PIB, dont chacun s’accordera à dire qu’elle est un accroissement de la richesse d’un pays.

- et celle que les mathématiciens connaissent bien, de progression négative.

En mathématique, une progression est simplement une suite de nombres se déduisant l'un de l'autre par addition d'un nombre constant R. (1) Il ne s’agit donc pas d’un processus évolutif au sens habituel. (2)

Une croissance négative du « produit intérieur brut » affecte donc l’évolution de la richesse d’un pays, mais en suivant une courbe descendante. Ce qui est négatif ici, résulte de la comparaison en pourcentage, des chiffres du PIB d’un trimestre rapporté au chiffre du trimestre précédent.

S’il est inférieur au trimestre précédent, alors on a une « croissance négative », ce qui veut dire qu’on s’appauvrit.

--> Le problème vient de ce qu’on utilise d’une part un terme – la croissance – qui implique une évolution, et donc l’application d’une cause motrice ; et d’autre part une quantité négative qui supposerait qu'une autre cause produise l’effet inverse (comme si en contre-pédalant mon vélo se mettait à reculer). Mais alors, cette cause est tout aussi positive que l’autre, puisqu’il faudrait qu’un effort soit fait pour obtenir cet effet nouveau.

C’est Emmanuel Kant qui a posé le problème le plus clairement. Dans son Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative, il explique qu’effectivement il faut distinguer entre la quantité négative en mathématiques et la quantité négative en philosophie (et en physique) : le déplaisir est bien un plaisir négatif, qui résulte d’une cause tout aussi réelle que le plaisir proprement dit. On peut aussi soustraire le déplaisir du plaisir (comme le plaisir engendré par l’achat d’une maison est diminué par le déplaisir résultant des charges à payer), exactement comme on soustrait un nombre négatif d’un positif.

Et on en vient alors à penser : Y a-t-il donc une cause précise qui nous appauvrisse en détruisant de la richesse ?

Ça serait-y pas les fonctionnaires par hasard ?


(1) Dans le cas de la progression arithmétique. S’il s’agit d’une progression arithmétique. S’il s’agit d’une progression géométrique, alors il faut lire : suite de nombres se déduisant l'un de l'autre par multiplication par un nombre R.

(2) On trouve une autre définition de la progression négative

Progression négative - une stratégie de parier dans la roulette où chaque fois que vous perdez, vous augmentez la quantité de pari sur la prochaine rotation. Ce s'appelle la progression négative parce que l'augmentation est basée sur des résultats négatifs précédents.

On espère que ça n’a absolument aucun rapport avec une quelconque stratégie économique.

lundi 22 septembre 2008

Qu'est-ce que la vertu ? (2)

Menon a dit...
Bien que cela fasse quelques années que j'ai eu la chance de dialoguer avec Socrate, il me semble que la question que je lui aie possé à l'époque était:
Peux-tu me dire, Socrate, si en fin de compte l'aretè est enseignable, ou pas enseignable mais cultivable par l'exercice, ou ni cultivable par l'exercice, ni apprenable, mais échoit aux hommes par nature ou de quelque autre manière ?
Durant la démonstration, Socrate a essayé de définir la vertu (aretè), mais ni est pas arrivé il me semble. Il a usé d'autres moyens pour répondre à ma question.
C'est pourquoi je vous pose à vous la question, qu'est-ce que la vertu ?
Commentaire du post précédent

Dans le Ménon, la question « qu’est-ce que la vertu » succède à cette autre : « la vertu s’enseigne-t-elle » ?

1 – Comment ces deux questions s’articulent-elles l’une à l’autre ?
La question « qu’est-ce que la vertu » signifie au moins 3 choses différentes :
- Quel est le sens du mot vertu ?
- Quelle est l’essence de la vertu ?
- Quelle est la cause de la vertu ?
Dans le premier cas, on recherche ce qui fait l’unité du concept.
Dans le second on recherche quelle est la caractéristique qui annule la vertu quand elle vient à disparaître.
Dans le troisième, on recherche à produire la vertu, en se demandant comme ici, si on peut la transmettre par l’enseignement (produire à volonté des Thucydides et des Périclès).
--> C’est donc ainsi que la question de la cause de la vertu débouche sur celle de son enseignement.
Mais la cause de la vertu ne peut être établie que si on sait à quoi correspond la vertu, autrement dit comment elle se définit.

2 – Le mot vertu se prend en plusieurs sens différents
- La vertu est un pouvoir, une excellence : c’est le sens premier de l’aretè des grecs, et celui de la virtu des latins.
- La vertu est aussi ce qui associe ce pouvoir au désir de réaliser de « belles choses » (Ménon)
- La vertu est finalement au sens restreint la tendance permanente à vouloir accomplir des actes moraux
--> Même si nous écartons le sens 1 – à savoir, la virtu machiavélienne c’est-à-dire le courage – il nous reste à déterminer
a – ce qu’est la valeur que vise la vertu morale,
b – ce qui pousse à réagir favorablement à elle.

a – Peut-on définir le bien, le juste ?
Il s’agit du même genre de question, avec la même polysémie, que la question sur le sens de la vertu (cf. 2)
Là, je rends mon tablier (ou plutôt mon bonnet carré) : car il s’agit ni plus ni moins de la question du fondement des valeurs autrement dit de la question axiologique fondamentale. Bigre…
Tiens, je trouve ce passage dans le discours de Benoît XVI à Paris : la religion est le consensus éthique fondamental. Vous pouvez toujours essayer (je le dis sans aucune ironie).

b – Qu’est-ce qui dans le bien ou le juste, nous pousse à agir favorablement ?
Cette question, notez-le est la même que celle qui est débattue dans le Ménon : car si on maîtrise ce ressort, alors on peut enseigner la vertu.
Je remarque que cette question est aujourd’hui même au centre d’un certain nombre de recherches portant sur la « raison pratique » en entendant par là le rapport entre le raisonnement « logique » et l’action. Bien sûr ces recherches sont issues de la philosophie anglo-saxonne. J’ai consacré une brève note au livre de Vincent Descombes qui s’attache à cette question (1).
Je ne saurais le résumer, je signalerai simplement la problématique qui est la suivante : y a-t-il un raisonnement qui contraigne à l’action de la même façon qu’il contraint à reconnaître sa validité ?
C’est le problème de tous les fondamentalismes, ou du terrorisme intellectuel…



(1) Vincent Descombes – Le raisonnement de l’ours (2007)

jeudi 11 septembre 2008

Peut-on remonter le temps ?


Après H.G. Wells et la machine à explorer le temps, après l’élixir de jeunesse, voilà la question qui revient, sans doute parce qu’on nous rebat les oreilles avec l’accélérateur de particules L.H.C., qui, dit-on, doit nous ramener à quelques fractions secondes du Big-Bang, il y a de cela 14 milliards d’années.
Pour savoir ce que ça veut dire, il faudrait déjà comprendre de quel temps il s’agit.
1 – Le temps du souvenir. Ainsi le petit Marcel (1) qui vit un épisode de son enfance en buvant du tilleul avec des miettes de madeleine dedans. Admettons qu’il n’y ait aucune différence entre l’épisode vécu et le souvenir qui en revient, il n’en reste pas moins que le souvenir est non pas la vie, mais la reviviscence. C’est Combray-II, le Retour. Avec le souvenir vécu, vient la conscience que ce n’est qu’un souvenir – sinon on hallucine.
2 – Le temps du physicien. Dans les équations de la mécanique le paramètre temps est élevé au carré (t2) ce qui signifie que le temps est réversible. L’instant (-2) peut devenir l’instant (+2). Hier peut devenir aujourd’hui, ou demain, sans problème.
Explication ? Supposez que vous fassiez rebondir une balle élastique sur le sol : elle part de votre main et elle y revient : le bond et le rebond. Vous allez dire que le « rebond » est l’effet du « bond », et donc il y a une flèche du temps : la cause précède toujours l’effet, c’est même à ça qu’on la reconnaît.
Mais supposez maintenant que vienne un physicien, avec ses instruments de mesure, qui vous dise : le mouvement de votre balle est strictement identique à l’aller comme au retour. Vous avez créé un mouvement perpétuel, votre balle va rebondir sur le sol ad vitam eternam. Dès lors, l’effet et la cause se confondent : pourquoi ne dirait-on pas que c’est le « rebond » qui est la cause du « bond » ? En tout cas ça ne change rien aux calculs de la physique.
3 – Le temps de l’univers est pour autant qu’on le sache un temps de l’entropie. Hier et demain se distinguent de façon définitive par le fait que l’énergie s’y disperse (Big Bang). Il y a donc une flèche du temps, son écoulement est irréversible, et les calculs de la mécanique ne s’appliquent pas à cette grosse machine là.
Sauf si celui-ci après s’être dilaté comme une baudruche se dégonfle et se contracte (Big Crunch). Le temps s’inverse, et alors on peut le remonter.
Supposez que le petit Marcel laisse tomber sa tasse de tilleul. Elle se brise à ses pieds. Dites lui alors qu’il n’a pas besoin de ramasser les morceaux. Il suffit d’attendre assez longtemps, et ceux-ci reviendront tout seuls dans sa main.


(1) Proust (évidemment) – Du coté de chez Swann. (Et aussi le temps retrouvé)

mercredi 10 septembre 2008

Qu’est-ce que la vertu ?

Message de Ménon - La boite à questions.

Docteur-Philo a failli perdre ses bésicles en lisant la signature en bas de cette question.

Quoi, Ménon, le valeureux interlocuteur de Socrate, lui à qui Socrate justement demandait de définir ce que c’est qu’être vertueux (
Mais toi-même, Ménon par la volonté des dieux, que dis-tu qu'est aretèn ?), le voici qui me demande de répondre à cette question, comme si le célèbre dialogue avec Socrate n’avait pas eu lieu ?
Par le chien ! Ménon, as-tu eu un coup de soleil trop fort sur la tête, ou bien ton cerveau se ramollit-il avec l’âge ?
- Tripote un peu ton ordinateur, Ménon, clique là-dessus : ça va te rafraîchir la mémoire.

vendredi 29 août 2008

Y a-t-il un Bien unique ?


Y a-t-il une conscience commune objective du bien? Ou n'y a t-il en fait que plusieurs consciences subjectives du bien qui se ressemblent mais dont les minuscules différences font que la réalisation parfaite du bien est impossible?

La Boite à questions


Mazette ! En voilà une question ! Docteur-Philo en va manger son bonnet carré.

Sans rire, la question du fondement des valeurs est l’une des plus difficile qui soit, si tant est qu’on puisse la résoudre.

Il y a pourtant dans cette question des présupposés qui affleurent et qui pourraient aider à y voir plus clair.

1 – Déjà, on comprend qu’il y aurait une opposition entre le Bien objectif et la somme des représentations du bien (subjectivité).

Tout se passe comme si le bien (le Bien) était un gros objet, bien visible et indépendant des consciences qui le perçoivent.

Si c’est à ça que vous croyez, alors pas de problème : voyez du côté du Pape, il a la réponse (voir la bulle de Jean-Paul II sur la morale objective) ; ou, comme le dit Sartre, seule une volonté infinie (= Dieu) peut créer des valeurs ayant une existence objective.

2 – Mais en plus, la somme des subjectivités, avec ses minuscules différences, apparaît comme destructrice de la valeur. Au lieu de se dire que ces différences sont comme les facettes d’un même objet vu sous des angles variés, on va se dire que chaque volonté va détruire ce que veut la volonté voisine : si infime que soient leur différences, elles sont mortelles pour la valeur.

J’en conclue que vous considérez le Bien comme un monolithe qui ne peut varier sans dépérir. On est dans une logique binaire : ou le Bien, ou le Mal ; pas d’alternative. Le manichéisme n’est pas loin.

3 – Enfin, le bien, si monolithique qu’il soit, doit encore être réalisé. Il n’est comme dit Kant qu’une idée régulatrice, ou si vous voulez un idéal qui n’existe pas dans notre monde mais qui oriente et polarise nos actions.

Si le Bien n'existe pas -ou pas encore - comment allons-nous le découvir?

--> Moi, Docteur-Philo, je n'ai pas de réponse philosophique à donner.Sauf que...

… attendez, j’ai une idée – ouvrez la Bible : si le Bien existe quelque part, ça doit être là-dedans.

- Ancien Testament : le Bien se décline en 10 commandements. Bon, vous allez les apprendre cœur et vous y soumettre.

- Nouveau Testament : disons que, si c’est nouveau, c’est meilleur. Là les 10 commandements ne sont plus qu’un : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Bon, voilà un Bien tout à fait monolithique, charitable et tout. Allons-y.

Oui, mais qui est mon prochain que je dois aimer ? Le policier de la Gestapo ou le Juif ? L’officier du K.G.B. ou Soljenitsyne ? Choisis ton camp camarade ; et des camps, il y en eu pour tous ceux qui ne voyaient pas le bien comme il fallait.

Pour que n’importe qui soit mon prochain, il faut que les choses changent. Oui, mais quand donc cela sera-t-il ? « Quand les hommes vivront d’amour… nous serons morts mon frère », dit la chanson

Ne désespérons pas trop ; après tout l’histoire avance et peut-être que les variations que vous signalez ne sont que de vues successives et de plus en plus nettes de la même chose. On s’avancerait vers le Bien ? Croyons-y un peu…

jeudi 28 août 2008

Faut-il détruire la demeure du chaos ?


(Merci à Alexandre de nous signaler cette œuvre dont j’ignorais jusqu’à l’existence. voici les liens qu’il nous propose pour nous éclairer : Photos / Wikipédia / Visite virtuelle / Reportage envoyé spécial)

Quelques questions pour orienter la réflexion :

1 – Question esthétique :

La demeure du chaos est-elle une œuvre d’art ?

Si oui,

2 – Questions juridiques :

- doit-elle être protégée par un statut spécial ? (celui d’œuvre d’art justement)

- peut-on imposer la présence d’une telle œuvre à ceux qui ne veulent pas la voir ?

3 –Questions philosophiques :

- De quel chaos s’agit-il ?

- La liberté de l’artiste est-elle une liberté d’un genre spécial qui l’affranchirait du respect de certaines lois ?

Sur la question 1, je dirai que la définition de l’oeuvre d’art est si controversée, qu’on ne peut la trancher qu’à partir du discours qu’on tient sur elle :

--> l’oeuvre d’art est ce dont on peut dire quelque chose qui ressemble à de la critique d’art.

--> Subsidiairement, l’oeuvre d’art est ce qui ébranle l’affectivité (mais là je suis un peu sceptique : il y a des gens pour s’émouvoir devant un nain de jardin)

Sur la question 2, je suis un peu court également : je crois savoir que les lois nous interdisent d’envahir l’espace public sans autorisation spéciale, quelqu’en soit la cause. Mais par ailleurs, on ne dirait pas que les occupants de la demeure du chaos le fassent. Quand aux règles d’urbanisme, elles sont bien sûr contraignantes, mais il est notoire que certains les contournent sans être beaucoup inquiétés.

Reste qu’il est de règle que l’œuvre d’art dérange, et que la police soit toujours du mauvais côté.

Sur la question 3, je dirai que je suis un peu plus à l’aise :

- d’abord, observons que le chaos n’est pas celui de la Bible : il ne s’agit pas du chaos initial, celui d’où le monde a été tiré, mais d’un chaos final, résultant de la destruction violente du monde.

Par ailleurs, je retrouve dans ce que j’aperçois des œuvres proposées la même intuition que dans les films de survivors des années 70 où le monde ravagé par une guerre atomique et/ou une catastrophe écologique n’est plus qu’un champ de ruines parcouru par des humains grisâtres et hagards, revenus à la violences des hordes primitives.

Ici, le thème de la violence est exploité bien entendu du point de vue de la dénonciation de l’injustice vis-à-vis des plus faibles (l’image du calvaire), mais plus encore du point de vue de la destruction de l’humanité par elle-même (carcasses d’avions, appel à la cruauté).

C’est donc la peur récurrente de la dégénérescence et du retour à la primitivité, avec toutefois un thème nouveau : celui du terrorisme (Ground zero) qui propose une apocalypse d’un genre un peu particulier puisqu’il ne s’agit pas de l’œuvre de l’humanité entière, ni de celle d’une Nation, mais d’un groupe humain. Ce qui souligne la montée en puissance des capacités de destruction offertes aux hommes

- Sur la liberté de l’artiste, le débat n’est pas près de se refermer : Rimbaud et Verlaine ; les provocations des surréalistes, etc., nous ont donné à croire que l’indice de l’art est précisément de produire du chaos. D’innombrables œuvres, exposées dans les galeries d’art moderne se contentent de ça.

Hélas.