vendredi 29 août 2008

Y a-t-il un Bien unique ?


Y a-t-il une conscience commune objective du bien? Ou n'y a t-il en fait que plusieurs consciences subjectives du bien qui se ressemblent mais dont les minuscules différences font que la réalisation parfaite du bien est impossible?

La Boite à questions


Mazette ! En voilà une question ! Docteur-Philo en va manger son bonnet carré.

Sans rire, la question du fondement des valeurs est l’une des plus difficile qui soit, si tant est qu’on puisse la résoudre.

Il y a pourtant dans cette question des présupposés qui affleurent et qui pourraient aider à y voir plus clair.

1 – Déjà, on comprend qu’il y aurait une opposition entre le Bien objectif et la somme des représentations du bien (subjectivité).

Tout se passe comme si le bien (le Bien) était un gros objet, bien visible et indépendant des consciences qui le perçoivent.

Si c’est à ça que vous croyez, alors pas de problème : voyez du côté du Pape, il a la réponse (voir la bulle de Jean-Paul II sur la morale objective) ; ou, comme le dit Sartre, seule une volonté infinie (= Dieu) peut créer des valeurs ayant une existence objective.

2 – Mais en plus, la somme des subjectivités, avec ses minuscules différences, apparaît comme destructrice de la valeur. Au lieu de se dire que ces différences sont comme les facettes d’un même objet vu sous des angles variés, on va se dire que chaque volonté va détruire ce que veut la volonté voisine : si infime que soient leur différences, elles sont mortelles pour la valeur.

J’en conclue que vous considérez le Bien comme un monolithe qui ne peut varier sans dépérir. On est dans une logique binaire : ou le Bien, ou le Mal ; pas d’alternative. Le manichéisme n’est pas loin.

3 – Enfin, le bien, si monolithique qu’il soit, doit encore être réalisé. Il n’est comme dit Kant qu’une idée régulatrice, ou si vous voulez un idéal qui n’existe pas dans notre monde mais qui oriente et polarise nos actions.

Si le Bien n'existe pas -ou pas encore - comment allons-nous le découvir?

--> Moi, Docteur-Philo, je n'ai pas de réponse philosophique à donner.Sauf que...

… attendez, j’ai une idée – ouvrez la Bible : si le Bien existe quelque part, ça doit être là-dedans.

- Ancien Testament : le Bien se décline en 10 commandements. Bon, vous allez les apprendre cœur et vous y soumettre.

- Nouveau Testament : disons que, si c’est nouveau, c’est meilleur. Là les 10 commandements ne sont plus qu’un : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Bon, voilà un Bien tout à fait monolithique, charitable et tout. Allons-y.

Oui, mais qui est mon prochain que je dois aimer ? Le policier de la Gestapo ou le Juif ? L’officier du K.G.B. ou Soljenitsyne ? Choisis ton camp camarade ; et des camps, il y en eu pour tous ceux qui ne voyaient pas le bien comme il fallait.

Pour que n’importe qui soit mon prochain, il faut que les choses changent. Oui, mais quand donc cela sera-t-il ? « Quand les hommes vivront d’amour… nous serons morts mon frère », dit la chanson

Ne désespérons pas trop ; après tout l’histoire avance et peut-être que les variations que vous signalez ne sont que de vues successives et de plus en plus nettes de la même chose. On s’avancerait vers le Bien ? Croyons-y un peu…

jeudi 28 août 2008

Faut-il détruire la demeure du chaos ?


(Merci à Alexandre de nous signaler cette œuvre dont j’ignorais jusqu’à l’existence. voici les liens qu’il nous propose pour nous éclairer : Photos / Wikipédia / Visite virtuelle / Reportage envoyé spécial)

Quelques questions pour orienter la réflexion :

1 – Question esthétique :

La demeure du chaos est-elle une œuvre d’art ?

Si oui,

2 – Questions juridiques :

- doit-elle être protégée par un statut spécial ? (celui d’œuvre d’art justement)

- peut-on imposer la présence d’une telle œuvre à ceux qui ne veulent pas la voir ?

3 –Questions philosophiques :

- De quel chaos s’agit-il ?

- La liberté de l’artiste est-elle une liberté d’un genre spécial qui l’affranchirait du respect de certaines lois ?

Sur la question 1, je dirai que la définition de l’oeuvre d’art est si controversée, qu’on ne peut la trancher qu’à partir du discours qu’on tient sur elle :

--> l’oeuvre d’art est ce dont on peut dire quelque chose qui ressemble à de la critique d’art.

--> Subsidiairement, l’oeuvre d’art est ce qui ébranle l’affectivité (mais là je suis un peu sceptique : il y a des gens pour s’émouvoir devant un nain de jardin)

Sur la question 2, je suis un peu court également : je crois savoir que les lois nous interdisent d’envahir l’espace public sans autorisation spéciale, quelqu’en soit la cause. Mais par ailleurs, on ne dirait pas que les occupants de la demeure du chaos le fassent. Quand aux règles d’urbanisme, elles sont bien sûr contraignantes, mais il est notoire que certains les contournent sans être beaucoup inquiétés.

Reste qu’il est de règle que l’œuvre d’art dérange, et que la police soit toujours du mauvais côté.

Sur la question 3, je dirai que je suis un peu plus à l’aise :

- d’abord, observons que le chaos n’est pas celui de la Bible : il ne s’agit pas du chaos initial, celui d’où le monde a été tiré, mais d’un chaos final, résultant de la destruction violente du monde.

Par ailleurs, je retrouve dans ce que j’aperçois des œuvres proposées la même intuition que dans les films de survivors des années 70 où le monde ravagé par une guerre atomique et/ou une catastrophe écologique n’est plus qu’un champ de ruines parcouru par des humains grisâtres et hagards, revenus à la violences des hordes primitives.

Ici, le thème de la violence est exploité bien entendu du point de vue de la dénonciation de l’injustice vis-à-vis des plus faibles (l’image du calvaire), mais plus encore du point de vue de la destruction de l’humanité par elle-même (carcasses d’avions, appel à la cruauté).

C’est donc la peur récurrente de la dégénérescence et du retour à la primitivité, avec toutefois un thème nouveau : celui du terrorisme (Ground zero) qui propose une apocalypse d’un genre un peu particulier puisqu’il ne s’agit pas de l’œuvre de l’humanité entière, ni de celle d’une Nation, mais d’un groupe humain. Ce qui souligne la montée en puissance des capacités de destruction offertes aux hommes

- Sur la liberté de l’artiste, le débat n’est pas près de se refermer : Rimbaud et Verlaine ; les provocations des surréalistes, etc., nous ont donné à croire que l’indice de l’art est précisément de produire du chaos. D’innombrables œuvres, exposées dans les galeries d’art moderne se contentent de ça.

Hélas.

mercredi 27 août 2008

Une utopie prône t-elle forcément le bien?

Une pareille question ne peut s’aborder qu’à partir d’une définition un peu précise.
Je vous livre les définitions relevées dans le TLF :
UTOPIE :
- 1 - Plan imaginaire de gouvernement pour une société future idéale, qui réaliserait le bonheur de chacun.
- 2 - P. ext. Système de conceptions idéalistes des rapports entre l'homme et la société, qui s'oppose à la réalité présente et travaille à sa modification.
- 3 - Gén. au plur. Idées qui participent à la conception générale d'une société future idéale à construire, généralement jugées chimériques car ne tenant pas compte des réalités.
- 4 - Au fig. Ce qui appartient au domaine du rêve, de l'irréalisable.
Au premier coup d’œil, on voit que le sens 4 est à exclure du champ de votre question : l’irréalisable et le rêve ne prônent rien du tout, et quand cela serait on ne voit pas qu’est-ce qui pourrait en fixer la valeur.
Les trois autres sens tournent autour de la question de la réforme de la société mettant l’accent sur le souhaitable et non sur le réaliste.
Tel quel on se dit : bon, si on se donne le mal d’imaginer une société idéale, pourquoi diable ne serait-elle pas conçue comme parfaitement bonne ?
--> En réalité, le problème se pose vraiment quand on s’attache au sens 1 et qu’on cherche des exemple de sociétés idéales : au choix, la Cité platonicienne, l’Utopie de Thomas More, la Cité du Soleil de Campanella, le Phalanstère de Fourrier, et puis tous les modèles déclinés dans les œuvres de S.F. que vous voudrez.
Alors : vous aimeriez vivre là-dedans, vous ?
Si ces utopies sont bonnes, elles le sont absolument ; entendez qu’elles sont en parfait équilibre, et si des conflits naissent, ils ne peuvent qu’opposer les Utopiens (je prends ici l’exemple de More) à leurs méchants voisins. Ce parfait équilibre ne peut s’obtenir qu’en produisant une espèce d’hommes homogène à l’organisation politique et sociale, des gens complètement normalisés, chez les quels même les passions ont des fonctions sociales essentielles et prévisibles (Platon, Fourrier).
Vous m’avez compris : une utopie ne peut que prôner le bien, mais c’est justement pour ça qu’il faut ne surtout pas la réaliser.
Voyez le mal que les révolutions idéologisées (marxistes en particulier, mais le nazisme aussi était une utopie) ont pu faire.


N.B. Je considère – peut-être à tort – que les entreprises pour créer des villes « utopiques », comme Auroville, n’ont pu subsister qu’à condition d’abdiquer une partie de leurs prétentions. Mais peut-être ce qui reste n’aurait jamais pu être sans celles-ci.

mardi 26 août 2008

Les droit de l'homme sont-ils universels ?

Dites donc, est-ce que, par hasard, vous ne seriez pas entrain de dire que vous n’avez pas confiance dans les sages qui ont fondé votre Nation ? Et même pas confiance dans les délibérations solennelle de l’ONU ? Parce que, si c’est ça, il y a des Goulags pour des gens comme vous.

- Lisez donc s’il vous plaît la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le préambule dit en substance que personne n’a jamais inventé les droits de l’homme. Là où ils ne sont pas appliqués on peut juste dire qu’ils sont ignorés, oubliés ou méprisés. Ils ont donc cette caractéristique des droits naturels d’être anhistoriques, donc universels. D’ailleurs, l’article 6 en remet une couche au cas où vous n’auriez pas compris : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »

- Comme tout ça semblait un peu oublié, en 1948, l’ONU a cru bon de réitérer :

Déclaration universelle de 1948 (Charte internationale des droits de l’homme) – Résolution 2117.

Lisez donc : je vous laisse une chance de vous racheter et de méditer sur la « conscience de l’humanité » qui est interpellée dans ce document. Maintenant, vous l’avez compris : les droits de l’homme seront universels ou ne seront pas.

--> Mais des esprits chagrins vont se manifester : d’où viennent ces droits diront-ils ? De la nature ? Quelle nature ? La nature humaine ? Que de crimes n’a-t-on pas déjà commis en son nom ! Les indiens d’Amazonie en savent quelque chose, eux qui n’ont pas de plus grand malheur que d’avoir rencontré des hommes prônant justement ces valeurs.

D’autres diront : ces droits sont bien jolis, mas qui donc se soucie de leur application ? On est toujours à l’affût de leur viol par les autres, mais jamais chez nous. A un tel point que les membres d’associations humanitaires qui traquent leur déni, telles que Amnesty international, œuvrent en général pour des pays autres que le leur.

Enfin, beaucoup de juristes critiquent cette idée de Droit naturels, estimant qu’une convention est nécessairement à l’origine du droit. Quant à estimer qu’une convention soit universelle parce que décrétées par tous les hommes, on est là dans les vœux pieux.

Mais peut-être est-ce justement là une réponse possible : les droits ne l’homme ne sont peut-être pas universels de droit. Par contre on peut les rendre universel de fait, ou du moins estimer que leur réalisation l’emporte sur toutes les autres considérations.

samedi 23 août 2008

Faut-il se battre pour réaliser les utopies ?

- Une "utopie" peut-elle être réaliste?
Je pense en l'occurrence à l'idéal marxiste, toujours défendu par l'extrême gauche.
- Et si non, à quoi bon se battre contre les moulins à vents ?

La Boite à questions.

L’utopie… Ah, mes enfants, moi, Docteur-Philo, du temps où je faisais mes études, en Mai-68, j’en ai aimées des utopies, si vous saviez…

Pourquoi je les ai aimées ? Parce qu’elles étaient belles et faciles, alors que la réalité était pénible et sale. Oui, faciles, les utopies étaient faciles… Il suffisait de vouloir l’égalité et l’amour libre, il suffisait de décréter que l’argent ne comptait pas, et alors on se retrouvait avec une bande d’autres étudiants comme nous, on faisait l’amour tous ensembles, on taillait la route en stop, et on se lavait dans les stations services… King of the road

Stop !!! Excusez Docteur-Philo : il est vieux et il se met à radoter…

Conservez tout de même de tout ça que les utopies sont faciles quand le monde environnant s’y prête, et quand on est suffisamment fort pour ne rien regretter de la réalité qu’on quitte. Bien sûr, l’utopie, on a commis bien des crimes en son nom : les soviétiques ont construit des goulags rien que pour aider les bourgeois à quitter leur réalité sordide et à accepter de suivre le chemin qui mène à l’Avenir Radieux…

--> Alors une utopie peut-être être réaliste ? Sûrement pas, sinon ça ne serait pas une utopie.

Et dans ce cas, à quoi bon se battre pour elle ?

C’est tout simple : c’est parce qu’on ne sait jamais si une utopie en est vraiment une.

Je ne sais pas si l’extrême gauche se bat encore aujourd’hui pour l’« idéal » marxiste. Mais en admettant que ce soit vrai, ça voudrait dire simplement qu’on se bat toujours pour une société sans classe. C’est peut-être un utopie aujourd’hui. Mais qui vous dit que c’était une utopie en 1930 ? Et qui vous dit que pour demain c’en sera encore une ?

Et l’éducation gratuite pour tous, en 1760, c’était bien une utopie, réclamée par les « démocrates » comme condition de l’accès à la République. Pour nous, c’est un droit fondamental auquel quel aucun Etat ne peut se dérober sans faillir à l’un de ses principaux devoirs.

Mais en attendant, deux observations :

- d’abord même si les utopies sont des rêves inaccessibles, on peut encore estimer que la vie ne vaut que si on se bat pour nos valeurs : c’est une façon de les faire exister.

Ça veut dire que si les utopies sont des rêves pour l’avenir, elles sont le moteur du présent. Nous avons besoin d’idéal pour avancer, et sans doute est-ce l’une des erreurs du pouvoir actuel de jouer systématiquement la carte du réalisme : travailler plus, oui ; mais pourquoi ? Alors certes, elles sont dangereuses parce qu’elles permettent de vendre n’importe quelle salade. A nous de réfléchir et de choisir l’utopie que nous souhaitons.

- ensuite, il y a des avancées technologiques qui réalisent aujourd’hui des espoirs insensés d’hier, sans même qu’on ait à bouger le petit doigt pour l’obtenir.

Et vous croyez que ça nous fait plaisir ?

vendredi 22 août 2008

Pourquoi faire des enfants ?

Pourquoi cherchons nous à avoir des enfants, même si l'on sait que c'est le plus grand malheur (cf votre citation)?

La boite à questions

Figurez-vous que Socrate, lui aussi ignorait pourquoi on fait des enfants, et en plus, lui, il n’a pas Docteur-Philo pour lui répondre.

Alors, il est allé voir la Grande Prêtresse, Diotime, experte dans toutes les questions de l’amour.

Et voici sa réponse (Banquet 207a) :

Eh bien, dit-elle, si tu crois que l'objet naturel de l'amour est celui dont nous sommes convenus plusieurs fois, ma question ne doit pas te troubler ; car, ici comme précédemment, [207d] c'est encore la nature mortelle qui cherche à se perpétuer et à se rendre immortelle autant qu'il est possible. Et son seul moyen, c'est la naissance, qui substitue un individu jeune à un individu vieux. En effet, bien que l'on dise d'un individu, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, qu'il vit et qu'il est toujours le même, cependant en réalité, il ne reste jamais ni dans le même état ni dans la même enveloppe, mais il meurt et renaît sans cesse dans ses cheveux, dans sa chair, dans ses os, dans son sang, en un mot dans son corps tout entier ; [207e] et non-seulement dans son corps, mais encore dans son âme : ses habitudes, ses moeurs, ses opinions, ses désirs, ses plaisirs, ses peines, ses craintes, toutes ses affections ne demeurent jamais les mêmes ; elles naissent et meurent continuellement. [208a] Mais ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que non-seulement nos connaissances naissent et meurent en nous de la même façon (car à cet égard encore nous changeons sans cesse), mais chacune d'elles en particulier passe par les mêmes vicissitudes. En effet, ce qu'on appelle réfléchir se rapporte à une connaissance qui s'efface ; car l'oubli est l'extinction d'une connaissance. Or la réflexion, formant en nous un nouveau souvenir à la place de celui qui s'en va, conserve en nous cette connaissance, si bien que nous croyons que c'est la même. Ainsi se conservent tous les êtres mortels ; ils ne restent pas absolument et toujours les mêmes comme ce qui est divin, [208b] mais celui qui s'en va et qui vieillit laisse à sa place un jeune individu semblable à ce qu'il était lui-même. Voilà, Socrate, comment tout ce qui est mortel participe de l'immortalité, et le corps et tout le reste. Quant à l'être immortel, c'est par une autre raison. Ne t'étonne donc plus si tous les êtres animés attachent tant de prix à leurs rejetons ; car c'est du désir de l'immortalité que leur viennent la sollicitude et l'amour qui les animent.

--> Pour faire bref, la réponse c’est qu’en faisant des enfants, l’intérêt de l’espèce et celui des individus se rejoignent dans la volonté de vivre. L’espèce survit dans la succession des générations ; l’individu survit dans la réplique de lui-même que représente sa descendance.

Et ne croyez pas qu’il s’agit d’élucubrations de philosophes. Car que disent les néo-darwiniens ? Que chacun cherche à diffuser ses gènes et à leur permettre de survivre en trouvant le partenaire le plus apte à produire des rejetons robustes et capables de triompher dans la lutte pour la vie.

Maintenant, si vous me dites que la question portait non sur l’intérêt des parents, mais sur celui des enfants (« malheur d’être nés »), hé bien je dirai qu’ils n’ont rien à dire. Qu’ils prennent ce qu’on leur a donné (= la vie) et qu’ils nous fichent la paix.
Comment on a fait nous ?

mardi 12 août 2008

Où est la limite entre la vie privée et la vie publique ? (Suite)

Je me demandais quelle est la limite entre la vie privée et la vie publique.

Est-il légitime de violer l’intimité des individus pour protéger la communauté ? Y a-t-il une limite juridiquement infranchissable entre vie privée et vie publique ?

Notre correspondant de la Boite à questions souligne que les progrès des techniques rendent de plus en plus virulente cette question. J’acquiesce à cette remarque, et j’ajoute que la CNIL, par son existence même, atteste de l’urgence de soumettre à la vigilance des citoyens les avancées dans ces domaines.
--> Autrement dit : on a fait sauter des bornes techniques ; est-ce une raison pour faire sauter aussi les bornes juridiques ?


Partons de quelques définitions. (Source : Gérard Cornu – Vocabulaire juridique (PUF))

- Public : de publicus, qui concerne le peuple.

Sens 1 : Est public ce qui concerne l’ensemble des citoyens (par opposition à ce qui n’est qu’individuel)

Sens 2 : Egalement, public se dit de ce qui est d’ordre général et supérieur (par opposition à ce qui est privé, particulier). Public est alors pris au sens de ce qui répond aux besoins de tous – cf. bien public, instruction publique, etc.

- Vie privée : sphère de l’intimité de chacun.

Par opposition à la vie publique, la vie privée est ce qui, dans la vie de chacun, ne regarde personne d’autre que lui et ses intimes (s’il n’a consenti à le dévoiler) : la vie familiale, conjugale, sentimentale, la face cachée de son travail ou de ses loisirs, etc.

- Comme on le voit, il n’y a aucune difficulté particulière à définir la frontière qui sépare la vie privée de la vie publique. Seulement, cette frontière n’est pas infranchissable : on peut choisir de divulguer sa vie privée personnelle (ce qu’a fait Notre-Président) ; l’autorité publique (pour ne rien dire des médias) peut aussi prendre connaissance de notre vie privée, voire même la dévoiler, par exemple dans un but de sécurité publique.

L’ambiguïté des rapports privé/public vient donc de la dualité de sens du mot « public ».

Car si, comme on vient de le dire, la distinction public/privé ne fait aucune difficulté, en revanche, la mise à disposition de tous (= public au sens 1) de la vie privée en raison de l’intérêt public (= public au sens 2) peut se discuter.

Deux observations :

- D’abord, la violation de la vie privée, apparaît – à tort ou à raison – comme le comble de l’abus de pouvoir (1). Les écoutes téléphoniques de l’Elysée (du temps où Mitterrand voulait protéger l’anonymat de Mazarine) l’atteste. On ne saurait donc traiter cette question comme on traite la question de la liberté individuelle dans les conduites à risque (comme prendre le risque de rouler sans ceinture).

- Ensuite, si l'on admet la violation de la vie privée pour des raisons majeures (les écoutes téléphoniques pour arrêter des terroristes), reste à dire s’il y a des limites que personne ne doit franchir, quelles que soient les justifications.

La solution à notre problème consisterait à dire que cette limite doit exister, mais que, pour paraphraser la déclaration des droits de l’homme, seule la loi peut fixer ces limites. Et participer à un débat sur l’élaboration d’une telle loi, c’est ça être un citoyen.


(1) Voir à ce propos le roman de Georges Orwell – 1984.

lundi 11 août 2008

Où est la limite entre la vie privée et la vie publique ?

Qu'est-ce que la vie privée ? Où est la limite entre la vie privée et la vie publique ?

La boite à question

Vaut-il mieux poser cette question à Docteur-Philo ou au rédac-chef de Voici ?

Je suppose que ce dernier dirait qu’il n’y a d’autre limite que celle imposée par la volonté du public. Moi, ma vie privée occupe un espace énorme, et ma vie publique presque rien du tout. Pour les peoples, c’est exactement le contraire.

D’où la question : peut-on fixer une limite un peu plus stable ?

--> La confusion tient à ce qu’on pense que ces deux domaines ne se distinguent pas par leur contenu, mais seulement parce qu’ils se déroulent dans des lieux différents ; la vie publique étant synonyme de vie en public ; et la vie privée signifiant qu’il s’agit de ce qui se déroule dans le domicile privé.

Pour y voir un peu plus clair il faut alors demander aux philosophes, et en particulier à Hannah Arendt, qui a consacré un chapitre à cette question dans la Condition de l’homme moderne (1).

Hannah Arendt considère que, si une question comme la vôtre peut être posée aujourd’hui, c’est qu’en fait on a détruit le domaine public pour le remplacer par une extension du domaine privé.

Comment cela ?

Arendt part du modèle Grec : dans la Cité grecque, le domaine public correspond à l’espace où les hommes peuvent discourir des décisions politiques, ou de philosophie, ou de tout ce que vous voudrez qui exprime le génie de l’esprit humain. Le domaine privé est celui qui est délimité par les murs du domaine – ou de la maison, l’oikos. Dans le domaine privé, ce qui prime, c’est la satisfaction des besoins humains, nourriture, protection, reproduction. C’est le domaine dominé par l’exigence de la nature, de la contrainte des besoins naturels, opposée à la liberté qui s’exprime dans le domaine public. Le domaine privé est dévolu aux femmes et aux esclaves – en charge de la satisfaction de ces besoins.

D’un côté, la création et la liberté, c’est le domaine public.

De l’autre la reproduction et la contrainte, c’est le domaine privé (2).

Cette clarté a disparu de nos sociétés, parce qu’elles ont cru que la fonction sociale par excellence était de prendre en charge les besoins, qu’on a de ce fait arrachés ceux-ci au retrait des murs de la maison, pour les traîner sur la place publique où ils sont devenus l’objet des débats politiques. Raison pour la quelle vous conviendrez avec Hannah Arendt qu’on ne fait plus de politique aujourd’hui… (3)

--> Petit exercice : classez dans le domaine - public ou privé - qui leur convient les activités suivantes :

Le travail ; l’éducation des enfants ; la sexualité ; les dévotions religieuses ; participer au scrutin des législatives ; faire du sport ; chanter dans une chorale ; faire les courses chez Lidl.


(1) Hannah ARENDT - Condition de l’homme moderne – chapitre 2 – Le domaine public et le domaine privé. (Pocket Agora, p.59-121)

(2) Le génie humain peut bien se mettre au service des besoins naturels. Il n'incarne plus la liberté, mais la soumission aux exigences de la nature (par exemple : comment produit mieux et avec moins de fatigue)

(3) On pourrait se demander si c’est à la puissance publique de prendre en charge le coût des soins exigés par l’abus du tabac ; excès privé, sollicitude publique ? ... Sauf qu’on reste toujours dans le domaine de la prise en charge des besoins du citoyen