mardi 29 juillet 2008

Les machines ont-elles une âme ?

Descartes nous a dit que puisse qu'il pense il est ("cogito ergo sum"). Mais est-ce suffisant de penser pour être ? Et d'ailleurs c'est quoi "penser" ?

Est-ce que la pensée d'une intelligence artificielle compte aussi ? (La boite à questions)

Il est sans doute présomptueux de reprendre sous cette forme un débat qui agite les philosophes depuis bien des siècles.

Mais j’avoue que le croisement du cogito et de l’intelligence artificielle m’excite suffisamment pour que je m’y risque.

1 – « C’est quoi penser ». Là pas de problème. Descartes a répondu à cette question dès l’annonce du cogito :

« Qu'est-ce qu'une chose qui pense? C'est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. » Méditation 2, §7.

Autrement dit la pensée est l’acte d’une substance particulière qu’on appelle substance pensante ou âme.

2 – Comment caractériser les actes de cette âme ou pensée ? Ils ne sont pas « matériels » en disant comme ça que tout ce que nous pensons ou sentons ne se réduit pas à une origine physique.

Pour vous donner un exemple, prenez le cas de la douleur. Vous savez que la douleur quand nous nous piquons le doigt par exemple est bien en rapport avec l’aiguille qui nous pique, mais qu’elle dépend également de notre cerveau qui va traduire une excitation des terminaisons nerveuses dans cette sensation.

Si nous anesthésions le centre cérébral de la douleur, nous la supprimons. Et certes on va croire que si la douleur disparaît, c’est parce que le cerveau – organe physique – est modifié. Seulement voilà : le cerveau lui-même est insensible à la douleur – y compris le centre de la douleur lui-même. La douleur ne s’explique donc pas complètement par une réaction physico-chimique à un stimulus physique. Le reliquat inexpliqué, c’est ça la pensée. [ L'exemple de la douleur pourrait très bien être repris dans toutes les perceptions: le cas de la vision, qui s'explique aussi par les actions que nous faisons, et non pas seulement par une réalité optique (le redressement de l'image inversée sur la rétine). Il est vrai que si ça implique l'âme, mon chat qui voit tout à fait normalement a une âme aussi. Il faut dire que c'est une brave bête.]

3 – C’est ça que veut dire Descartes : la pensée, c’est ce processus de représentation qui ne s’explique pas essentiellement par une origine physique ; et même dont le rapport avec le processus physique reste très mystérieux (c’est le problème du rapport entre l’âme et le corps)

4 – « est-ce suffisant de penser pour être ? » On voit que si la substance pensante (âme) existe indépendamment de la réalité physique (corps), et si nous acceptons de nous identifier à elle – alors oui, il suffit de penser pour être. (Pour le reste, voir ci-dessous, 6-b)

5 – Je ne sais pas exactement ce que les développements de l’intelligence artificielle vont donner dans l’avenir. Mais leur mode de production les distingue dès l’origine de la pensée – telle que Descartes la conçoit du moins.

Car ce n’est pas en terme de performance que la pensée s’analyse ; c’est en terme d’origine. La pensée est ce qui ne s’explique pas par des processus physico-chimiques. Ou, si vous préférez, le cerveau ne pense pas – pas plus qu’il ne souffre quand on le pique, alors que nous souffrons quand on nous pique le doigt.

6 – Quels sont les problèmes qu’on n’a pas résolus ?

a – Disons qu’on n’a pas résolu la question de l’influence exacte des substances toxiques –comme l’alcool ou les drogues sur la pensée (1) : modifier ou supprimer la pensée par de telles substances, est-ce une preuve que la pensée est un phénomène d'origine physico-chimique ? C’est du même tonneau que l’immortalité de l’âme – sauf que l’âme du cogito, elle peut bien mourir : il suffit pour ça qu’elle ne pense plus.

Au fait il y a bon nombre de nos contemporains qui n’ont plus d’âme à ce compte. Ouf ! Un problème de moins.

b – Comme quoi la question « Suffit-il de penser pour être », quoiqu’éminemment cartésienne, ne nous intéresse plus nous, les enfants de TF1 et de Coca-Cola.

(1) Tiens, j’y pense : peut-on faire délirer une intelligence artificielle ? Ou alors cette idée est tellement stupide qu’on ne peut même pas lui donner du sens ?

dimanche 20 juillet 2008

En matière d’écologie, peut-on tirer des leçons du passé ?

De plus en plus, chaque jour on nous parle du réchauffement climatique et des modifications qui risquent d'arriver à notre environnement actuel.

Sans aller jusqu'à parler de châtiments (puisqu'il implique la notion de lois/règles et de juges/arbitres), certains pensent que c'est une "punition" pour nous les hommes.

Ma question est donc dans le cas où ce réchauffement est une "punition" suite à nos actes envers la nature, est-ce que cette punition est "juste" ?

Qu'est-ce qui permettrait de dire que l'humanité s'améliorera "après" cela afin d'éviter à nouveau ce genre de comportement ?

La boite à questions

Peut-on parler de « punition » dans le cas du réchauffement climatique, même s’il n’y a ni lois ni arbitre ?

--> Il n’y a pas de punition, mais quand même…On aimerait bien que c’en soit une, car autrement on ne voit pas comment sortir de cette course à l’exploitation de la nature qui va dans le mur.

L’idée est que la faute ne sera comprise que quand la punition sera vécue, et vécue comme punition. Seule la crainte sera la bonne conseillère, à condition d’être associée à son inévitabilité : l’œil du censeur est partout en éveil (L’œil était dans la tombe / Et regardait Caïn).

Sauf que sans norme et sans juges à qui ferez vous croire qu’il y a punition ? Même un petit enfant n’y croirait pas.

Supposons que la « faute » commise dans l’exploitation de la nature soit liée à la cupidité humaine, ou si l’on veut à la misère des hommes (les garimpeiros brésiliens). Alors il est probable que seul le progrès économique permettra d’y mettre bon ordre, car si la nature humaine existe elle est forcément immuable.

On remarque le discours des écolos qui exultent aujourd’hui : heureux de la crise ouverte par le renchérissement des matières premières et plus particulièrement du pétrole. Voilà disent-ils ce qui va nous contraindre à économiser la nature. Ce que le bon sens ne peut faire, la contrainte économique le fera. Les malheureux qui vont vivre encore plus difficilement parce qu’on n’aura pas trouvé la parade immédiatement apprécieront ce mépris de leurs souffrances.

--> Retenons en tout cas qu’il n’y a pas d’anticipation possible des méfaits du progrès ; cela est vrai techniquement ; et encore plus vrai économiquement (voir l’indifférence pour les dévastations de la nature dans les pays qui sont entrain d’émerger économiquement). Que ces méfaits ne seront compensés que par des progrès futurs (= donnez à la Chine une autre source d’énergie, propre celle-là, et elle se fera un plaisir de renoncer au charbon).

Reste que la volonté politique est encore nécessaire. Les progrès scientifiques et techniques ne peuvent se réaliser que s’ils sont stimulés par les Etats, et depuis Descartes on sait et on dit que la recherche scientifique n’est pas l’affaire des particuliers mais que les monarques doivent aussi y contribuer.

vendredi 18 juillet 2008

Peut-on définitivement se passer des autres ?

Voici une question difficile, peut-être impossible à résoudre en raison de l’adverbe ajouté : définitivement.

Car si l’on demandait simplement : peut-on se passer des autres ? La réponse serait facile. L’être humain ne saurait exister sans la présence d’autres humains au moins au début de son existence. Le nourrisson ne peut se passer du secours de l’adulte, et le jeune enfant ne saurait même pas parler sans l’apprentissage. Hérodote raconte l’histoire légendaire du pharaon Psammétique qui fit isoler un nouveau-né, lui accordant juste la présence d’un berger pour le nourrir, afin de savoir quelle langue il parlerait en prenant de l’âge. Il paraît qu’il prononça le mot becos qui signifie pain en Phrygien ; dont on conclut que le Phrygien est la langue spontanée donc la plus ancienne de l’humanité. Si nous refusons toute crédibilité à cette histoire, elle montre au moins que l’énigme des origines du langage, et par delà celle de l’existence de l’humanité a toujours questionné les hommes.

Revenons à notre question : elle signifie que l’on cherche à savoir comment un adulte peut – pourrait – se passer à tout jamais de la compagnie d’autres humains, un peu comme Robinson sur son île (avant la venue de Vendredi).

- Les grecs, comme Aristote, considéraient que l’humanité venait à l’homme par l’appartenance à une Cité, en sorte que la présence des autres est à tout jamais une nécessité. Aristote disait que celui qui pourrait vivre seul serait soit plus qu’homme, soit moins qu’homme (soit un monstre, soit un Dieu (1))

− Certes Rousseau pensait que l’homme était originellement un être solitaire, mais en revanche il estimait que l’histoire de l’humanité l’avait entraîné à vivre en société et que cette évolution avait produit des changement irréversibles dans les individus actuels, en sorte qu’il serait impensable de retourner à la solitude originelle. On ne peut donc se passer définitivement des autres, même s’il le faudrait.

− Il y a pourtant des cas où cette solitude a été réalisée. C’est le cas des reclus volontaires, sorte d’ermites qui se faisaient enfermer dans une cellule dont on murait la porte et qui ne communiquaient avec l’extérieur que par un guichet qui servait à passer leur nourriture. On raconte que lorsqu’ils entraient là-dedans on célébrait pour eux un office des morts.

Il est en principe impossible de savoir ce qu’il se passait dans cette solitude et s’ils y retrouvaient Dieu. On peut toutefois supposer que des modifications profondes de leur conscience s’y produisait, en sorte qu’ils devaient avoir l’impression de changer de monde.

− L’un de nos auteur qui a essayé de décrire ces changements, c’est Michel Tournier dans Vendredi ou les limbes du Pacifique (2). Car l’intérêt du roman de Tournier c’est d’avoir tenté de retracer les modifications – altérations – de la conscience dans la solitude. Et il ne s’agit pas simplement de la perte de la présence de l’autre, de la relation au autrui. L’absence définitive d’être humain entraîne selon Tournier la déréalisation du monde : les rochers, les arbres, les torrents se disloquent, se confondent. Du fond de la souille où il se complait, Robinson voit l’île de Spérenza retourner dans les limbes.

A condition de pouvoir satisfaire les besoins vitaux, on peut certes se passer définitivement des autres. L’air qu’on respire, l’eau que l’on boit, le soleil qui nous éclaire ne dépendent pas d’eux. Mais ce qui compte, c’est de savoir quel est le prix à payer pour cela.

(1) « Il est manifeste, à partir de cela, que la cité fait partie des choses naturelles, et que l'homme est par nature un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par [le hasard des circonstances], est soit un être dégradé soit un être surhumain, et il est comme celui qui est injurié [en ces termes] par Homère : "sans lignage, sans loi, sans foyer" Aristote – Les politiques, I, 2 1252a

(2) A ne pas confondre avec Vendredi ou la vie d’un sauvage, version pour les enfants du précédent, mais en réalité un tout autre roman.