lundi 16 février 2009

Faut-il être fier ?

Bonjour Dr Philo. J'ai découvert ton blog (tu permets qu'on se tutoie?) via "citation du jour" que j'apprécie beaucoup.
Donc bref, je suis un vieux lycéen (18 ans, en Terminale ES) et je voudrais te poser une question qui m'embête depuis un petit moment : Faut-il être fier ?
Car vois-tu, j'ai peur de la fierté, de ces notions de dignité, ce genre de valeur.. Je ne saurais pas expliquer, c'en est limite viscéral pourtant je sais paradoxalement que ces notions permettent une certaine cohésion sociale ou un truc dans ce style.
Alors s'il te plait Dr Philo, peux-tu m'éclairer ? (Ca fait un peu sectaire quand même !)

La boite à questions

Cher vieux lycéen,

ta question est bigrement difficile à traiter, le fierté étant de ces notions qui contiennent en réalité plusieurs concepts.

En plus je crois deviner que tu n’apprécies que modérément les liens sociaux fondés sur un tel sentiment. Serais-tu plutôt pour la mauvaise réputation ?

En fouillant dans ma musette de philosophe, j’ai quand même extrait trois idées :

1 – La gloire de Dieu (théologie chrétienne)

2 – L’honneur (Montesquieu)

3 – L’estime raisonnable de soi (Kant)

1 – L'expression "la gloire de Dieu" (Gloria in excelsis Deo) désigne différentes manifestations de la présence divine, mais c’est globalement toujours une manifestation de sa grandeur. Si chez l’homme, être fier c’est être glorieux, alors c’est à n’en pas douter une jouissance de la supériorité.

Pas de supérieurs sans inférieurs. C’est donc un sentiment qui porte en lui bien des risques de conflits. Rousseau faisait du désir de paraître supérieur et de la compétition qui s’en suivait l’une des origines de la corruption sociale.

2 – Montesquieu fait de l’honneur (autre forme de la fierté, ne crois-tu pas ?) le principe du gouvernement monarchique. Voici comme il le définit :

« La nature de l’honneur est de demander des préférences et des distinctions ; il est donc, par la chose même, placé dans ce gouvernement [= la monarchie]. » Montesquieu – De l’esprit des lois, III – 7

Bon. C’est vrai que c’est un peu comme la gloire, sauf qu’on met l’accent ici sur l’effet bénéfique de l’honneur. C’est un véritable lien social, comme tu le supposais, mais un lien conçu non comme ce qui contraint à rester ensemble, mais comme ce qui réunit sans contraindre. C’est la valeur que l’on recherche tous sans entrer en compétition entre nous.

Tiens, suppose qu’il soit honorable d’avoir son bac (surtout si c’est un bac ES) ; tu es d’accord avec tous tes camarades, qui recherchent le même but. Et que, chacun pour soi, désire réussir peut créer les conditions du succès de tous ; en faisant qu’on écoute bien ses professeurs et qu’on ne perturbe pas le cours de philo – par exemple.

3 – C’est ce cher vieux Kant qui a sans doute répondu le plus directement à ta question (voir ici). Car ce qui importe selon lui, ce n’est pas d’être heureux, mais de se rendre digne de l’être – autrement dit d’accéder à l’estime raisonnable de soi.

Donc on exclut le stupide orgueil qui ne sert qu’à briller aux yeux des sots (bling-bling). Et on s’admire soi-même selon le mérite que tout être raisonnable devrait nous accorder si l’on parvenait à exclure les passions.

Maintenant point de lien social, ni de principe politique. L’estime de soi est strictement morale, elle ne concerne que l’humanité.

Excuse du peu.

mercredi 4 février 2009

Peut on naître sans conscience ?


Comme toujours ces questions massives portent dans leurs flancs plusieurs autres questions.

- L’enfant qui vient de naître est-il conscient ? Sinon, à quel moment la conscience lui advient-elle ?

- Si la conscience surgit dans l’être humain, lui est-elle liée consubstantiellement, ou bien l’homme est-il un animal susceptible d’apprendre à être conscient comme il apprend à marcher sur ses deux jambes ?

- Faut-il au contraire dire que l’être humain est par définition un être conscient (conscience = âme), au point que le nourrisson dénué de conscience serait à peine un humain (le fœtus dont on peut avorter sans homicide). Là-dessus s’opposent les adeptes de l’âme immortelle (le bébé est une personne dès sa conception) et les psychologiques comme Piéron : « l’enfant n’est qu’un candidat à l’humanité »

- Mais la question préalable est la suivante : à quels signes reconnaissons-nous la conscience ? Comment pouvons-nous répondre à la question qui nous est posée si nous ne savons pas faire la différence entre un être dépourvu de conscience et un être qui en est pourvu ?

--> Sur cette dernière question, je crois que nous ne pouvons répondre que négativement : même l’imagerie cérébrale n’a pas permis de saisir le lieu de la conscience ni même la trace qui atteste de son existence. Même si il y a en effet des différences entre l’action réflexe et l’action réfléchie, rien ne prouve que nous soyons là en présence d’une trace inévitable pour la conscience.

Bergson allait encore plus loin : rien dans mon comportement, au moment même où je vous parle, ne vous prouve indubitablement que j’ai une conscience, disait-il. Et encore ne connaissait-il pas ces programmes informatiques qui simulent un interlocuteur avec le quel on dialogue par clavier interposé, tels qu’on finit par ne plus savoir faire la différence entre l’interlocuteur véritable et la machine.

Donc a fortiori nous ne pouvons savoir si une conscience préformée est dans le nourrisson, comme la rose est dans le bourgeon.


--> Nietzsche est le philosophe hardi qui a osé répondre à votre question. La conscience nous dit-il est le résultat de l’échange et de l’interaction entre l’individu et son milieu, du fait des souffrance qu’il éprouve et qu’il va tenter de supprimer.

Ce qui veut dire que la conscience est la part la plus mauvaise de nous-mêmes puisqu’elle est la part souffrante. La puissance est inconsciente, et elle est ce que l’homme doit devenir.


--> Autrement dit, votre question : « Peut on naître sans conscience ? » conduit à une autre : « Que vaut la conscience ? »