jeudi 30 octobre 2008

Le vide est-il préférable au manque ?


Docteur-Philo s’interroge... Ne s’agirait-il pas là d’un sujet de dissertation qu’un néo-terminale voudrait lui faire traiter ?

1 – D’abord Madame Michu sa voisine a confirmé qu’elle ne s’intéressait pas à un tel sujet, et il sait que les philosophes de la planète-média ne traitent que des questions d’ordre morales ou politiques (et ici même…).

2 – En suite parce qu’une question pareille demande une étude conceptuelle et une construction de la problématique qui suppose un contexte dont elle sert à contrôler la possession, comme le font parfois les professeurs de philosophie (à moins qu'ils ne désirent noyer leurs jeunes élèves en leur donnant un sujet impossible ... pour leur faire prendre conscience de leur vide - ou de leur manque???).

3 – Et enfin, il faut avouer que le vide est plus souvent opposé/rapporté au néant qu’au manque.

...Enfin… On ne se refait pas, et notre ami Docteur-Philo se sent l’envie de faire quelques remarques sur le sujet. Il nous demande de préciser qu’il ne s’agira pas d’une réponse ordonnée et exhaustive à cette question qui réclamerait comme on vient de le dire une longue recherche.

Si nous nous en tenons aux concepts élaborés dans le cadre de thèses philosophiques :

- Le vide est l’élément clé du matérialisme antique. En effet, pour créer les êtres qui constituent le monde, Epicure par exemple avait besoin d’atomes … et de vide, pour que leur mouvement puisse se développer. La question était de savoir si le vide était une substance ou non. Car dans second cas, rien d’autre que les atomes n’existaient vraiment (une seule substance = monisme / par opposition au dualisme).

Des conceptions mécanistes – et donc « matérialistes » elles aussi - telle que celle de Descartes nieront que le vide existe, puisque tout mouvement est un mouvement produit par le contact d’un mobile. On sait que Pascal ironisait là-dessus en disant que Descartes avait quand même eu besoin de Dieu pour donner la pichenette qui a initialement ébranlé cette majestueuse machine.

Ajoutons que le vide peut fort bien « contenir » de l’énergie, comme dans le cas du vide quantique. Et que de toute façon il ne saurait se confondre avec le néant qui anéantit tout être, alors que l’atome se déplace fort bien dans le vide sans disparaître.

- Le manque, quand à lui suppose un être par rapport au quel il manque.

- a - Sartre (1) – reprenant si je ne m’abuse le Banquet de Platon – affirme qu’il y a là une trinité (entendez qu’aucun de ces éléments ne saurait exister sans les deux autres):

- le manque (ce qui manque)

- l’existant (ce à qui il manque)

- la manqué (la totalité constituée par le manque plus l’existant)

- b – Spinoza identifie le manque à l’inachèvement. Ce qui l’inscrit dans une perspective génétique ou dynamique comme on veut. Ici, le manque s’oppose à la réalité complète qui pour Spinoza est toujours la perfection étant donné qu’on ne peut rien lui demander de plus (on ne va pas reprocher au chien de ne pas parler vu qu’il n’est pas dans sa nature de chien de le faire – il ne lui manque même pas la parole)

--> La question qui nous est posée suppose l’étude du rapport entre ces deux concepts (et non leur étude successive).

On voit que :

1 – Le manque et le vide ont ceci en commun de posséder une certaine forme d’existence, l’un étant un existant par défaut (le manque), l’autre un existant qui n’a pour seule propriété de ne pas anéantir l’existant (voir définition du vide ci-dessus).

2 – Que la confusion entre le vide et le manque vient d’un maniement imprudent de ces concepts par un amoureux transi (Un seul être vous manque et tout est dépeuplé).

3 – Et que l’on pourrait faire du vide et du manque les deux éléments sans les quels la condition humaine ne saurait se concevoir : le vide comme condition de la liberté (2); le manque comme condition du désir.


(1) L’être et le néant II, 1, 3

(2) Objection : chez Sartre c'est le néant - et non le vide - qui la condition de la liberté.

Je ne traiterai pas cet aspect : il faut bien qu'il vous reste quelque chose à faire...

jeudi 23 octobre 2008

Y a-t-il des victimes innocentes ?


Les gens qui craignent les paradoxes sont priés de passer leur chemin : ce Post n’est pas fait pour eux.

Les autres savent que derrière un paradoxe se cache souvent une vérité. Ils vont se demander qui pose la question d’aujourd’hui.

Et dès qu’on aborde le problème sous cet angle, tout s’éclaire. C’est le bourreau qui pose la question : Connaissez-vous des victimes innocentes ? Et la réponse apparaît aussitôt : toute victime de la loi est un coupable qu’on châtie.

Et de citer la fable de La Fontaine : Le loup et l’agneau (1) : le loup s’érige en juge de l’agneau qui ne sera dévoré qu’après avoir été condamné.

Mais on va voir qu’il n’y a pas que les criminels subissant leur châtiment qui soient coupables.

Si nous laissons de coté les sacrifices qui font de la victime un être sacrifié à une divinité (et alors la victime doit être pure pour que le sacrifice soit agréable aux Dieux), la victime désigne un être qui subit les conséquences fâcheuses d’une situation ou d’autrui, alors la victime est la contrepartie du mal. Etre victime, c’est prouver que le mal existe.

1 – Première thèse : Nietzsche

Pour lui, il y a deux façons de localiser le mal, ou plus exactement d’évaluer l’être.

- Chez l’être dominé parle ressentiment, le mal est localisé dans l’autre, celui qui lui inflige la douleur. Toi qui me fais souffrir, tu es mauvais parce que moi, qui souffre, je suis bon.

- Chez l’être qui est animé par une force dominante, l’évaluation est symétrique : je suis bon, donc tu es mauvais. Et c’est pour ça que tu souffres – ou : que j’ai le droit de te faire souffrir, comme chez La Fontaine.

2 – Deuxième thèse : René Girard.

Selon René Girard dans une société quelconque, la violence latente résultant des traumatismes subis par le groupe ne peut s’évacuer qu’en s’exerçant sur une victime expiatoire. C’est le bouc émissaire de la Bible qui sert ici d’emblème.

Dans chaque cas de malheur, il faut un coupable. Non pas forcément pour rétablir la justice, encore que ce soit mieux : la victime du châtiment est alors objectivement coupable.

Mais cela ne doit pas occulter que le châtiment a aussi pour fonction de soulager ceux qui ont souffert. Ne voit on pas lors de la révision d’un procès qui acquitte finalement le présumé coupable, les victimes devenir enragées, parce qu’on leur a pris « leur » coupable ? Mieux vaut un "coupable" innocent que pas de coupable du tout.

Ça ne veut pas dire bien sûr que toute victime soit coupable. Mais que celles qui ne le sont pas pourraient bien le devenir.


(1) Fable que mon excelllllent ami J.P. Hamel a traité dans son blog (post du 21 mars 2008, mais malheureusement sans s’arrêter sur ce point délicat)

vendredi 17 octobre 2008

Qu’est-ce qu’une crise ?


J’étais entrain de faire la sieste, quand le téléphone s’est mis à sonner.

- Allo ? Docteur-Philo ? J’entends parler de crise à tout bout de champ, et personne ne prend la peine de me dire ce que c’est, de quoi on parle. Pourriez vous éclairer ma lanterne ?

Ah... Cher interlocuteur, si vous saviez combien de fois j’ai dû répondre à cette question depuis plus de 30 ans… A un tel point que j’ai piraté le dessin de Wolinski (à qui je demande bien pardon) pour le mettre à la place de ma réponse (1)

Mais enfin, devant le désarroi suscité par l’abus du terme dans les médias actuels, je veux bien ressortir mes fiches jaunies par le temps.

Crise du grec krisis signifiant action de choisir, la crise est originellement le moment décisif dans un processus, et d’abord dans une maladie.

La crise est en effet un terme originellement médical, sens qu’il a gardé en français jusqu’au XVIIème siècle. A ce moment il prend un sens figuré, et plus particulièrement politique au

XVIIIème siècle.

--> On doit donc comprendre que les deux paramètres qui caractérisent la crise sont :

- d’abord la soudaineté. La crise est une rupture inattendue dans un processus régulier.

- ensuite la brièveté : la crise ne saurait durer, puisqu’elle ne dure que le temps que s’établisse en état plus stable. Bien entendu, cet état n’est pas forcément évolutif, puis que la crise finale entraîne la mort.

--> Le problème que nous rencontrons en ce moment est de savoir :

- s’il s’agit d’une crise ou bien si celle-ci ne serait pas confondue avec un chaos permanent lié à l’irrationalité de la déréglementation financière. Au quel cas rien d’autre ne viendrait s’annoncer par là.

- s’il s’agit d’une crise ou de plusieurs crises empilées les unes sur les autres (à savoir : financière, bancaire, économique, sociale, politique).

- si on doit considérer ces crises comme une chance : un nouvel ordre mondial plus juste et plus efficace va-t-il s’instaurer ; ou comme un malheur : annonce-t-elle la mort du système.

Mais au fait : serait-ce un malheur ?


(1) Si vous voulez le voir, c’est ici

vendredi 3 octobre 2008

Comment une croissance peut-elle être négative ?


Je vois que vous êtes comme moi : tout docteur de philosophie que je sois, j’ai mal aux oreilles quand j’entends dire que la récession, est avérée après 2 trimestres successifs de « croissance négative » du PIB.

Croissance négative ? Quésaco ?

En fait, je crois qu’il y a contamination de deux expressions différentes :

- d’une part celle de croissance du PIB, dont chacun s’accordera à dire qu’elle est un accroissement de la richesse d’un pays.

- et celle que les mathématiciens connaissent bien, de progression négative.

En mathématique, une progression est simplement une suite de nombres se déduisant l'un de l'autre par addition d'un nombre constant R. (1) Il ne s’agit donc pas d’un processus évolutif au sens habituel. (2)

Une croissance négative du « produit intérieur brut » affecte donc l’évolution de la richesse d’un pays, mais en suivant une courbe descendante. Ce qui est négatif ici, résulte de la comparaison en pourcentage, des chiffres du PIB d’un trimestre rapporté au chiffre du trimestre précédent.

S’il est inférieur au trimestre précédent, alors on a une « croissance négative », ce qui veut dire qu’on s’appauvrit.

--> Le problème vient de ce qu’on utilise d’une part un terme – la croissance – qui implique une évolution, et donc l’application d’une cause motrice ; et d’autre part une quantité négative qui supposerait qu'une autre cause produise l’effet inverse (comme si en contre-pédalant mon vélo se mettait à reculer). Mais alors, cette cause est tout aussi positive que l’autre, puisqu’il faudrait qu’un effort soit fait pour obtenir cet effet nouveau.

C’est Emmanuel Kant qui a posé le problème le plus clairement. Dans son Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative, il explique qu’effectivement il faut distinguer entre la quantité négative en mathématiques et la quantité négative en philosophie (et en physique) : le déplaisir est bien un plaisir négatif, qui résulte d’une cause tout aussi réelle que le plaisir proprement dit. On peut aussi soustraire le déplaisir du plaisir (comme le plaisir engendré par l’achat d’une maison est diminué par le déplaisir résultant des charges à payer), exactement comme on soustrait un nombre négatif d’un positif.

Et on en vient alors à penser : Y a-t-il donc une cause précise qui nous appauvrisse en détruisant de la richesse ?

Ça serait-y pas les fonctionnaires par hasard ?


(1) Dans le cas de la progression arithmétique. S’il s’agit d’une progression arithmétique. S’il s’agit d’une progression géométrique, alors il faut lire : suite de nombres se déduisant l'un de l'autre par multiplication par un nombre R.

(2) On trouve une autre définition de la progression négative

Progression négative - une stratégie de parier dans la roulette où chaque fois que vous perdez, vous augmentez la quantité de pari sur la prochaine rotation. Ce s'appelle la progression négative parce que l'augmentation est basée sur des résultats négatifs précédents.

On espère que ça n’a absolument aucun rapport avec une quelconque stratégie économique.