dimanche 31 octobre 2010

Pourquoi interdire les drogues ?

Une question comme ça...

Pourquoi est-ce interdit de consommer du cannabis alors qu'il s'agit semble t-il de la drogue la moins dangereuse? Est-seulement une question d'argent?
La boite à questions

Voici une question qui – dirait-on – s’adresse prioritairement au médecin, au psychologue, au sociologue, à l’ethnologue, que sais-je encore…

Laissant le déterminisme social aux sociologues, la dépendance aux médecins, le tropisme de la jouissance aux psychologues, les rites chamaniques aux anthropologues, Docteur-Philo va devoir se faire, comme Rabelais, abstracteur de quinte-essence pour répondre à la question du jour.

--> Pour le philosophe, la drogue sous toutes ses formes répond à un besoin d’ordre métaphysique. Il s’agit d’une quête d’absolu qui pousse l’homme à franchir ses limites actuelles ce que ses forces « naturelles » ne lui permettent pas de faire.

Par exemple :

1 - On dira que ce besoin d’absolu vient de sa nature mortelle, ou encore du souvenir que son âme a gardé d’un paradis perdu, peu importe. Il s’agit se trouver dans un autre monde que celui-ci, se hisser jusqu’à une sur-nature, et il est éclairant que la religion ait été la première à faire un usage rituel des drogues, et aussi – c’est pour cela également qu’elle nous intéresse – à en interdire l’usage à ceux qui n’étaient pas initiés.

2 - Souvent cette recherche de dépassement ne porte que sur la perception : pour que le monde devienne autre, il suffit de le voir autrement. Aldous Huxley l’a magnifiquement montré dans Les portes de la perception. D’ailleurs ce besoin se manifeste même en dehors de l’usage de drogue, ainsi que nous le voyons avec les derviches tourneurs.

3 – Bien sûr, nos petits jeunes qui fument leur innocent pétard ne cherchent pas à rencontrer Dieu en face. Mais eux aussi, ils cherchent à franchir des limites – celles du plaisir : sinon, pourquoi parleraient-ils de « s’éclater » ?

D’ailleurs, la fête relève de ce mécanisme de transgression des limites, et elle implique l’usage de drogues sous toutes ses formes, à commencer par l’alcool.

--> Pouvons-nous répondre à présent à la question posée : Pourquoi l’interdit, là où précisément la menace sur la santé et sur l’ordre public ne pèse pas ?

On dit du drogué qu’il est peu ou prou un asocial, qu’il ruine sa vie en négligeant les déterminismes sociaux. Soit ; mais on devrait selon moi dire plutôt que (comme il est dit un peu plus haut) l’usager de la drogue est quelqu’un qui cherche à transgresser les limites. Car une telle transgression implique qu’on échappe aux griffes du pouvoir, puisqu’on se meut dans un autre monde, celui où la jouissance vient des substances consommées et non de la soumission aux règles de la société.

Raison d’interdire la drogue – même douce ? Dans le cœur de tout usager de drogue, il y a un anarchiste qui sommeille.

mardi 19 octobre 2010

Le corps est-il l’expression de ce que nous sommes ?

Pourriez vous développer, dans un prochain billet, l'idée que le corps est une expression de ce que nous sommes ? Cela me semble un sujet tout à fait intéressant.

Question formulée sur le Blog La citation du jour, le 12 octobre

3 possibilités :

1 – Nous sommes composés d’un corps et d’une âme. Non seulement ils ne sont pas de même nature, mais encore le corps est un piège pour l’âme, où elle vient s’engluer et perdre sa spiritualité. C’est ce qu’explique Platon, c’est ce que les mystiques ne cessent de répéter. La mort est une délivrance en ce qu’elle débarrasse l’âme de son enveloppe charnelle.

2 – Le corps est l’autre de l’âme, ce à quoi elle ne s'identifie pas (par ce qu’elle est de nature spirituelle et non matérielle) et qui pourtant lui est indissolublement lié : c’est le mystère de l’incarnation, qu’on retrouve jusque chez Descartes (et Malebranche). Ici, il peut y avoir correspondance entre l’âme et le corps, quoiqu’il n’y ait pas de continuité entre les deux. Bergson à ce propos utilisait la métaphore de l’orchestre : le chef d’orchestre ne joue pas et pourtant il y a bien une parfaite correspondance entre ses gestes et la musique jouée par l’orchestre.

3 – Enfin on peut affirmer que le corps et l’âme sont en parfaite continuité, qu’il n’y a pas une muraille de Chine qui sépare l’être humain en deux, d’un côté le corps, de l’autre l’âme.

C’est ici que réellement on peut dire que le corps est une expression de ce que nous sommes,

- soit, de façon intuitive, en disant que le corps se sculpte au cours de la vie en fonction du vécu (cette ride d’expression – ce dos un peu voûté – cette démarche altière…). L’enfant qui vient au monde a un corps qui doit tout à la nature. Le corps du vieillard est l’expression de sa vie.

- On peut aussi comme les « psys » (psychanalystes en particulier) développer la théorie de l’expression empêchée. Le corps est ce qui dit ce que le sujet ne peut exprimer – ce qu’il ne peut même pas penser.

On connaît la liste des manifestations psychosomatiques qui expriment à leur façon les angoisses, les désirs refoulés, les stress de la vie quotidienne. (Ça va du l’eczéma au cancer)

--> Si le corps est l’expression de ce que nous sommes, alors les maladies ont un sens et agir sur l’humeur – ou sur la spiritualité – est une façon de préserver sa santé.

--> Si on recule devant une telle conséquence, il reste quand même à admettre certains phénomènes psychosomatiques, comme l'effet placebo.