mercredi 25 novembre 2009

Y a t-il un responsable autre que la causalité ?

Question posée dans La boite à questions.


La causalité est-elle synonyme de responsabilité ?

Faut-il comprendre qu'on se demande si c'est la cause qui a produit tel effet qui est l'origine de la responsabilité ?

Mais alors il faut se demander aussi: qu’est-ce donc que la « causalité » ?

De toute façon la question est encore trop classique (de millions de pages pour la traiter ont sûrement déjà été écrites), et en même temps loin d’être résolue (voyez les débats sur l'opportunité de juger les fous).


Toutefois, Dr. Philo s'est engagé à répondre à ses honorables lecteurs et il n'est pas homme à reculer devant sa responsabilité

De quelle causalité parle-t-on ? De la cause efficiente ? De la cause liée à la volonté ? S’agit-il d’un sujet qui a agi en pleine connaissance de cause, ou bien était-il ignorant de l’effet produit, ou encore incapable d’être conscient de ce qu’il faisait ?

- Ça fait longtemps qu’un ne traîne plus devant le tribunal l’animal qui a causé un dommage, et on ne juge plus (ou pas encore) les fous criminels.

--> Donc l’imputation de responsabilité suppose non seulement qu’on ait fait ce qui donne lieu à responsabilité, mais encore qu’on l’ait voulu.

Voilà donc quelques éléments de réponse :

1 – Il n’y a responsabilité que là où il a quelque chose qui a été fait impliquant la volonté humaine – ou divine.

Et donc le fait strictement naturel (le tremblement de terre qui ravage une région, la tempête qui coule le bateau) ne donne lieu à aucune responsabilité.

De même le hasard n’est aucunement responsable : le fait de gagner une fortune au Loto n’a rigoureusement aucun sens dans ce domaine.

2 –Poser la question de la responsabilité, c’est donc se demander : quand est-ce qu’on peut dire qu’on a voulu réellement ce qui s’est passé. On se rappelle de la formule « Responsable mais pas coupable », qui voulait dire qu’il existe une responsabilité formelle mais pas réelle, quand on n’a pas véritablement souhaité ce qui s’est passé. On juge en ce moment Douch, le tortionnaire cambodgien, qui comme les bourreaux nazis plaide l’obéissance pour se disculper. Ils ont fait, oui – mais ils ne l’ont pas voulu.

3 – Plus intéressante, cette observation consistant à dire avec Ricœur que cette question suppose que soit résolue une autre question préalable : qui est l’agent véritable de l’action ? Ou si vous préférez : Qui donc a fait ce dont un parle ?

mardi 10 novembre 2009

Faut-il faire partir les gens qui viennent faire jouer leur chien sur mon terrain ?

Bonjour Dr Philo, voici: nous avons un très grand terrain que nous entretenons avec amour. Comme il n'est pas clôturé deux personnes viennent y faire jouer leur chien. La première fois je les ai informés qu'il s'agissait d'une propriété privée, ce qu'ils ignoraient. Mais depuis ils reviennent à tous les jours.

- Est-ce normal que ça m'agace au plus au point ou est-ce de l'égoïsme.

- Pourquoi ai-je tant de mal à leur dire de partir?

- Est-ce que je me sens coupable de posséder une si grande propriété que nous avons pourtant si difficilement gagnée?

Isabelle (Remarque sur ce Post)

Voici une question qui pourrait aussi bien être adressée au juriste et/ou au psychologue.

Si elle s’adresse au philosophe, alors c’est notre rapport à la propriété privée qui est interrogé

Car si on laisse (provisoirement) de côté la seconde questions, on est en présence d’une question typiquement rousseauiste.

C’est en effet Rousseau qui écrit que la propriété privée se définit par l'exclusion du droit des autres à faire ce qu'il veulent de notre bien : la propriété avant d’être un sentiment est une réalité qui se caractérise par l’exclusion des autres. Ma propriété c’est le domaine de ma vie privée, n’y entrent que ceux que j’ai autorisés. Et sur tout pas leurs chiens. Et surtout pas si c’est pour le souiller de leurs déjections.

La question n’est donc pas tellement de savoir pourquoi ça vous agace, puisque, étant donné ce qu’on vient de dire de la propriété, et vos envahisseurs étant dûment prévenus qu’ils étaient sur la votre, ils n’en tiennent pas compte, mais plutôt de savoir comment il se fait que vous vous sentiez « coupable » de posséder cette propriété», et pourquoi vous aviez des réticences à faire valoir vos droits.

Alors, on peut tenter plusieurs réponses :

- D’abord que vous êtes sans y penser plutôt rousseauiste (1) , et que vous ayez l’idée que la propriété privée n’est pas quelque chose de vraiment légitime ; je veux dire que l’humanité pourrait bien vivre sans que la propriété privée n’existe.

- En suite que, comme le dit également Rousseau (c’est dans le Contrat social cette fois), la propriété doit être proportionnée aux besoins humains et à ses capacités de travail (il s’agit toujours de la propriété du sol et donc de la dimension du champ nécessaire à faire vivre le paysan).

Néanmoins, comme vous le faites remarquer, ce grand terrain est proportionné à votre travail puisque vous l’avez dûment acheté avec vos émoluments. Simplement ce travail est en amont de la possession et non en aval (comme l’est le champ qui est légitimé par le travail agricole).

- Enfin, que cette manière d’exclure les gens soit pour vous une attitude peu recommandable moralement. Même si on n’est pas certains de vouloir aimer notre prochain comme nous-mêmes, néanmoins nous avons un vieux fonds humain qui nous recommande l’hospitalité pour le passant inconnu. C’est ce que croyaient les grecs : le mendiant qui sonne à ta porte est peut-être un Dieu déguisé qui vient faire du testing d’hospitalité.

Alors si vos envahisseurs – et leur chien – sont des Dieux, laissez faire.

Sinon, plantez donc une clôture et achetez un fusil.


(1) Voyez ce texte :

Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne. (Discours sur l’origine de la propriété, 2ème partie)