lundi 31 mars 2008

Quel est le sens de la vie ?

Bonjour, ma question est la suivante :
Quel est le sens de la vie ? Est-il personnel à chacun ou universel pour tous les hommes ?

La Boite à questions

Je prends acte que l’hypothèse de l’absurdité de la vie est mise à l’écart. On aurait pu en effet s’interroger sur l’existence du sens de la vie : la vie a-t-elle un sens ou bien est-elle absurde ?

--> Déjà il faudrait s’entendre sur ce qu’on appelle le sens de la vie. Ensuite il faudrait voir quel problème pose l’alternative personnel/universel dans le cadre de cette question.

Et enfin il faudrait être fermement décidé à ne pas se satisfaire des réponses bien-pensantes, parce que moi, je déteste ça.

1 – Le sens peut s’entendre de 3 façons différentes : l’organe de la sensation ; la signification ; l’orientation dans l’espace. On se contentera du sens 2, admettant que le 3ème est ici métaphorique, et le 1er dépourvu d’intérêt.

2 – Le sens peut être personnel lorsqu’il est déterminé par un choix individuel ; il est universel lorsqu’il s’impose soit objectivement, soit culturellement, soit religieusement. L’opposition entre les deux porte sur l’existence du choix, puisque qu’il est hors de question que le sens de la vie soit choisi s’il existe de façon universelle. Si Dieu existe et s’Il me commande d’aller trucider les infidèles, je n’ai pas le droit de m’interroger : le sens de ma vie est d’être un guerrier intraitable, ou alors ma vie ne vaut rien. Si vous insistez pour dire : mais si, vous avez encore le choix, alors vous supposez que le sens dépend de celui-ci et donc qu’on est libre de le déterminer en tant qu’individu.

Donc, pas de compromission : si Dieu le veut – ou : mon peuple, ou ma classe sociale, ou ma famille… - je n’ai pas à discuter.

Si par contre je considère que c’est à moi de dire ce que sera le sens de ma vie, et que la détermination précédente n’est en réalité qu’un choix parmi d’autre (= je choisi de ne pas avoir le choix), alors le sens de la vie est subjectif.

3 – Les réponses exclues par moi-même comme "bien pensantes" (entendez : convenues et conventionnelles) seraient soit favorables à une thèse religieuse, soit strictement anarchisantes (1). Va-t-il nous rester quelque chose à dire encore après ça ?

Sartre – oui, encore lui – nous dit : choisissez en toute liberté et en toute responsabilité vos valeurs, donc le sens de votre vie, mais faites comme si votre choix devait être repris par l’humanité entière: demandez-vous "qu'est-ce qui se passerait si tout le monde faisait comme moi?". Supposons dit-il (2), que je choisisse de me marier (ça risquait pas de lui arriver), c’est donc que la monogamie serait le sens de ma vie (il aurait fallu demander à Simone ce qu’elle en pensait). Je devrais considérer alors que la monogamie devrait être choisie par l’humanité entière parce qu’elle incarne le Bien, le Vrai le Beau. Et après ça, que personne ne fasse comme moi a peu d’importance. Ce qui compte c’est que mon choix ait été pour moi l’occasion de rencontrer l’universel.

--> Concluons. On voit que la thèse de Sartre– reprise je suppose du jugement esthétique kantien – a cette originalité de refuser la distinction posée au départ : ou bien sens personnel / ou bien sens universel. On ouvre la possibilité d’un sens qui serait posé par notre choix comme universel, mais comme on n’est pas Dieu, ça voudrait dire qu’au fond de notre choix pour un sens de vie, il y aurait l’expérience de l’universel.

Mais que cet universel n’apparaît que dans cette implication.

(1) Bien entendu vous avez le droit de vous déterminer par rapport à cette alternative : ça vous épargnerait même de lire ce qui suit.

(2) C’est dans L’existentialisme est un humanisme.

samedi 29 mars 2008

Comment reconnaît-on qu’on est dans une dictature ?

Comment reconnaît-on qu’on est dans une dictature ?

Docteur-Philo

Oui, mes chers lecteurs, vous avez bien lu : c’est moi, Docteur-Philo qui pose la question. Et forcément, si je la pose c’est que je n’ai pas la réponse, et que c’est à vous qui me lisez de m’aider à la chercher.

En effet, on passe son temps à déclamer des phrases bien enflammées sur la perte des libertés, sur le mépris de la démocratie, sur la monarchie républicaine, que sais-je encore ?

Si vous êtes convaincu que la démocratie est morte, c’est bien que la dictature s’est imposée. Comment le savez-vous ? A quoi le voyez-vous ?

1ère réponse : le dictateur est celui qui ne rançonne ses sujets que lorsqu’il les a privés de toutes les libertés politiques, ce dont ils ne se sont pas aperçus.

« Par tout pays, le peuple ne s’aperçoit qu’on attente à sa liberté que lorsqu’on attente à sa bourse ; ce qu’aussi les usurpateurs adroits se gardent bien de faire que tout le reste ne soit fait. » Rousseau – Lettres écrites de la montagne – 7ème lettre

2ème réponse : l’homme, tyrannisé par le dérèglement des passions est conduit à tyranniser les autres :

« Ainsi donc, merveilleux ami, rien ne manque à un homme pour être tyrannique, quand la nature, ses pratiques, ou les deux ensemble, l'ont fait ivrogne, amoureux et fou. » Platon République, livre IX (source)

3ème réponse : là où le pouvoir exécutif fait les lois, ou au moins dicte ses décisions au pouvoir législatif ; là où il prétend passer par dessus les juges pour dire ce que doit être la sanction pénale, il y a arbitraire et donc dictature.

"Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution." Article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

4ème réponse : est despotique le régime qui interdit les livres.

« Dans un pays imaginaire où la lecture et la possession de livres sont rigoureusement interdites et considérées comme des instruments de subversion du peuple. Les opposants à cette règle sont sévèrement pourchassés et les ouvrages trouvés chez eux impitoyablement brûlés. C'est le corps des pompiers qui est chargé de cette tâche. » Truffaut – Fahrenheit 451 (source)

5ème réponse : est totalitaire le pouvoir qui surveille constamment ses sujets, effaçant ainsi la séparation entre la vie privée le domaine politique

« Le chef suprême du Parti est Big Brother, dont visage immortel et adulé est placardé sur les murs de la ville. Tous les membres du Parti sont constamment surveillés par la Police de la Pensée et chaque geste, mot ou regard est analysé au travers des « télécrans » qui balayent les moindres lieux. » Georges Orwell – 1984 (résumé - source)

….

On l’aura compris : trop de réponse tue la réponse.

… Mais surtout,

- les libertés politiques, on ne s’en sert plus (débat démocratique disparu, abstention aux élections…). Par contre les impôts, on les surveille, oui.

-le dérèglement des passions, inutile de vous faire un dessin.

-la séparation des pouvoirs, voyez le rôle du chef actuel de l’exécutif

-interdire les livres ? C’est quoi un livre ? Police de la pensée ? C’est quoi la pensée ?

-Mettre les citoyens sous vidéosurveillance ? Ça me rappelle quelque chose…

jeudi 27 mars 2008

Pourquoi on cause?

Rebonjour, c'est encore moi qui vous salue bien bas. Une question m'est venue cette nuit et je vous en serais très reconnaissant si vous pouviez m'ouvrir quelques pistes de réflexion à son propos :
D'où nous vient ce besoin de parole ? De nous exprimer et d'être entendu par autrui ?

La boite à questions

L’homme est un animal qui a besoin du langage et qui ne pourrait pas être ce qu’il est s’il ne l’avait pas. Mais pourquoi ce besoin, et qu’est-ce qui lui manquerait s’il ne l’avait pas ?

--> On sait que cette question n’est pas nouvelle. Aristote y a répondu de la façon la plus nette : les hommes parlent parce qu’ils vivent dans des sociétés organisées politiquement (des cités). Le langage sert, dit-il, à se signifier ce qu’est le juste et l’injuste, entendez qu’il leur permet de former une représentation collective de la justice sociale, des valeurs morales pour tous. Les hommes sont faits pour vivre en société (animal politique) et, sans langage, pas de vie sociale politique (= ordonnée selon des lois).

- Les éthologistes ne disent pas autre chose : si les singes ne possèdent qu’une ébauche de langage (et encore faut-il leur en reconnaître une), c’est parce que leur vie sociale est assez fruste (au regard de sociétés humaine), et qu’ils n’ont pas eu besoin d’évoluer vers des formes de langage plus sophistiquées.

--> Bon, tout ça c’est bien savant, mais c’est aussi bien décevant. Parce que, regardez des copines qui se retrouvent le matin après… une nuit de séparation. Leur bavardage passionné, c’est pas pour discuter du bien ou du mal que je sache. Le langage répond donc à un besoin de plaisir, si tant est qu’on puisse nommer « besoin » la recherche de la jouissance. Car il y a une jouissance de la parole, de la parole communicante j’entends.

Une réminiscence : du temps où j’étais prof, il m’arrivait de demander à quelques élèves (des filles ? - Oui) : - Supposez que vous vouliez vous faire religieuse. Vous avez le choix entre deux couvents. Dans l’un, la règle impose une chasteté absolue. Dans l’autre c’est la règle du silence qui est imposée. Le quel choisiriez-vous ? – La réponse était en général que le silence aurait été une torture abominable qu’on ne peut pas imaginer d’infliger à des êtres humains.

J’ai dit : «jouissance de la parole communicante », mais pas seulement. L’homme parle parce que c’est une jouissance de parler, et pas seulement dans le cas de la communication. Voyez le petit enfant : son « babil », incompréhensible pour tous semble bien être un plaisir qu’il se donne avec la bouche, la gorge, les lèvres, la langue, le souffle, les cordes vocales… Le petit d’homme produit du son avant de parler, on peut même penser que le langage s’acquiert sur ce fonds là (1).

Voilà quelques pistes de réflexions, mais ne vous hâtez pas de choisir entre elles : le langage humain est déterminé par trop de facteurs pour qu’on en imagine une origine simple. D’ailleurs comme le disait déjà Rousseau, on ne peut imaginer l’origine du langage (encore qu’il le voyait quant à lui dans l’évolution du cri de la passion), parce qu’on ne peut concevoir un homme qui parle apprenant à parler à des hommes qui n’ont pas encore acquis cette faculté (= qui auraient vécu sans en avoir besoin jusque là).

J’oubliais : à côté du cri de la passion, le cri du chasseur (le call system). Les américains avaient imaginé que le langage était issu d’un système de cris employés par les chasseurs primitifs pour coordonner leur action de chasse. Bien entendu, si on trouve un mammouth dans un tableau de chasse paléolithique, on se doute bien qu’il a fallu que des chasseurs coordonnent leurs actions. Mais, bref : on n’en finirait pas d’énumérer les origines du langage dès lors qu’on suppose qu’il vient d’un besoin absolument vital que lui seul permet de satisfaire.

--> Peut-être serait il plus exact de dire que l’espèce humaine n’a pu évoluer et devenir ce qu’elle est que parce qu’elle disposait de cette faculté. A l’inverse de ce que croyait Aristote, on dirait alors que ce n’est pas le besoin qui crée la faculté, mais la faculté qui crée le besoin.

(1) On dit que la totalité des phonèmes de la totalité des langues humaines utilisent des sons prélevés dans le stock du babil enfantin. En réalité ce n’est pas tout à fait exact, parce que l’enfant vient au monde avec des sonorités déjà entendues in utetro (vous savez ces mamans qui font écouter du Shakespeare à leur ventre avant d’accoucher : elles seraient un peu moins ridicules qu’on ne le croit…)

mercredi 26 mars 2008

Faut-il avoir honte d'être nu devant son chat ?

mister g. a dit...

Ne devrait-on pas avoir honte lorsqu'on est tout nu devant son chat ?

La boite à questions


Déjà, Mister G. avant de vous demander s’il faut avoir honte d’être nu devant votre chat vous devriez vous méfier un peu : imaginez que votre Mistigri s’amuse s’il voit des pompons qui ballottent et qu’il essaye de les attraper ? Hein ? Vous ne risquez rien ? J’en prends acte.

--> Je me permets de vous renvoyer à mon passionnant article intitulé : « A quoi ça sert la honte ? ». Je me contenterai donc de redire que la honte résulte du fait qu’on est vu par quelqu’un pour qui nous somme purement et simplement identifiés à une intention ou à une réalité dégradante. Il est clair que si vous êtes tout nu et tout seul, le fait de vous voir dans le miroir ne vous gène en aucun cas. Mais si votre voisine d’en face secoue ses oreiller par la fenêtre au moment où vous ouvrez vos rideaux dans votre plus simple appareil, alors là, vous risquez d’avoir honte – ou du moins de considérer que ce n’est pas neutre.

Ce que le cas du minou nous permet de préciser, c’est la notion de regard qui reste chez Sartre assez implicite.- Le regard, ce n’est pas seulement l’acte de percevoir : c’est aussi un jugement implicite sur ce que nous voyons (et d’ailleurs dans toute perception il y a peut-être déjà un jugement).

Le chat échappe-t-il à cette nécessité ? Y a-t-il un regard félin ? Quand il vous voit est-il important que vous soyez à poil ou pas ? A mon avis, et compte tenu du comportement de la minette que j’héberge, je crois bien qu’il n’a rien à en faire. Le jugement du chat porte sur votre aptitude à satisfaire un de ses besoins : manger, sortir, jouer (les pompons !). Si rien de tout cela n’est signifié par votre allure, il va plisser les yeux et rester dans sa somnolence.

--> Bref, venons-en à l’essentiel : quand nous avons honte de nous promener tout nu devant quelqu’un, c’est que nous supposons que nous allons mettre en jeu quelque chose de sexuel, ce qui est tabou dans nos pays. Si je me mets à poil devant le médecin je n’en ai pas honte, parce que mon corps n’est qu’un organisme, que si il était transparent comme du verre et qu’on voie les organes à travers, ça serait aussi bien.

Vous allez me dire – je vous connaît Mister G. – Et Adam, et Eve : quand ils honte d’être nu quand Dieu les regarde, est-ce parce qu’il supposent que Dieu…sexuel… ?

Quelle horreur ! Simplement ils se sont dit que Dieu allait croire qu’ils étaient entrain de faire Crac-Crac, et ça c’est la honte.



****************

Ajoutons pour ne pas l'oublier, que cette question semble bien avoir été inspirée par le livre de Derrida "L'animal donc que je suis". Docteur philo ne peut que conseiller de s'y reporter.

mardi 25 mars 2008

Pourquoi se demande-t-on toujours pourquoi ?

Coucou, c'est encore moi. Il me restait une petite question : Pourquoi se demande-t-on toujours pourquoi ?

La boite à questions

Voilà la question sans fin : car on pourrait tout aussi bien vous demander « Pourquoi vous demandez-vous pourquoi on se demande toujours pourquoi ? »

Et nous en serions quitte pour nous séparer fâchés…

Heureusement, Docteur-Philo a de l’aide : Arthur Schopenhauer vous a entendu et vous a répondu dans son célèbre ouvrage Le monde comme volonté et comme représentation (1434 pages aux PUF). D’ailleurs, voyez l’extrait en annexe.

Je résume ? Alors voilà :

- l’homme dit Schopenhauer est un animal métaphysique, ce qui veut dire qu’il recherche le pourquoi des choses, de toutes les choses.

Ça veut dire :

1 – qu'il est métaphysique parce que c'est la question de l’origine première des choses qui l’intéresse (exemple : « pourquoi y a-t-il des hommes sur terre plutôt que pas d’hommes du tout »), et non le « comment » des choses (exemple : « comment fait-on des enfants ») ;

2 – que si on parle d’animal métaphysique, c’est pour dire que c’est un instinct, que c’est dans la nature humaine, bref, qu’il n’y a pas à demander pourquoi, parce que tout simplement si ce n’était pas comme ça, il n’y aurait plus d’homme. D’ailleurs Schopenhauer écrit que moins on est intelligent, et moins on se pose de questions.

Mais ça, vous le saviez déjà, n’est-ce pas ?

- Peut-on me reprocher de me débarrasser de la question en disant : c’est comme ça, y a rien à demander, circulez, y a rien à voir ?

Peut-être, mais alors il faudra trouver mieux comme réponse. Parce que, ce sur quoi nous tombons ici, c’est sur une cause première (c’est pour cela qu’on parle de métaphysique), c’est à dire sur ce qui donne du sens au phénomène évoqué. Si les petits enfants demandent toujours et obstinément « Dis, pourquoi… », c’est qu’ils cherchent à comprendre le sens de ce qu’ils voient, et pas forcément pour s’amuser de l’embarras des adultes.

Annexe.
« Excepté l'homme, aucun être ne s'étonne de sa propre existence, c'est pour tous une chose si naturelle qu'ils ne la remarquent même pas. (…)
L'homme est un animal métaphysique. Sans doute, quand sa conscience ne fait encore que s'éveiller, il se figure être intelligible sans effort ; mais cela ne dure pas longtemps : avec la première réflexion se produit déjà cet étonnement qui fut pour ainsi dire, le père de la métaphysique. C'est en ce sens qu'Aristote dit au début de sa Métaphysique : « car c'est l'émerveillement qui poussa les hommes à philosopher ». De même, avoir l'esprit philosophique, c'est être capable de s'étonner des événements habituels et des choses de tous les jours, de se poser comme sujet d'étude ce qu'il y a de plus général et de plus ordinaire, tandis que l'étonnement du savant ne se produit qu'à propos de phénomènes rares et choisis, et que tout son problème se réduit à ramener ce phénomène à un autre plus connu. Plus l'homme est inférieur par l'intelligence, moins l'existence a pour lui de mystère. Toute chose lui paraît porter en elle-même l'explication de son comment et de son pourquoi. Cela vient de ce que son intellect est encore resté fidèle à sa destination originelle, et qu'il est simplement le réservoir des motifs à la disposition de la volonté ; aussi, étroitement lié au monde et à la nature, comme partie intégrante d'eux-mêmes, est-il loin de s'abstraire de l'ensemble des choses, pour se poser ensuite en face du monde et l'envisager ensuite objectivement, comme si lui-même, pour un moment au moins, existait en soi et pour soi. Au contraire, l'étonnement philosophique, qui résulte du sentiment de cette dualité, suppose dans l'individu un degré supérieur d'intelligence, quoique, pourtant ce n'en soit pas là l'unique condition : car sans doute, c'est la considération des choses de la mort et les considérations de la douleur et de la misère de la vie qui donnent la plus forte impulsion à la pensée philosophique et à l'explication philosophique du monde. Si notre vie était infinie et sans douleur, il n'arriverait à personne de se demander pourquoi le monde existe et pourquoi il y a précisément telle nature particulière ; mais toutes les choses se comprendraient d'elles-mêmes. (…)
Selon moi, la philosophie naît de l'étonnement au sujet du monde et de notre propre existence, qui s'imposent à notre intellect comme une énigme dont la solution ne cesse dès lors de préoccuper l'humanité. »

Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation

samedi 22 mars 2008

Faut-il céder devant la force pour éviter l’affrontement ?

Une question pour le docteur philo : est-ce que la phrase "en cas de conflit, c'est le plus intelligent des 2 qui cède, pour éviter que ça ne dégénère" est recevable ?

Par e-mail

Qu’est-ce qui pourrait justifier que je me batte pour rétablir mon droit, au moyen d’une violence en principe interdite par la loi ?

Certains pensent que si on est agressé, alors il n’y a plus de droit ni de loi, tout juste la Loi de la Jungle : c’est celui qui tape le plus fort qui a raison. Ce disant, ils confirment que la justice, la vraie, exclut que l’on se fasse justice soi-même.

Ai-je répondu ?

Non, hélas !

- Dans son film Bowling for Columbine, Michael Moore donne la parole à des citoyens américains qui militent pour le maintien du droit à porter une arme. Une femme déclare : « Si des voleurs entrent chez toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu appelle la police ? Et si on te dévalise ou si on te viole le temps qu’ils arrivent, tu ne fais rien qu’à attendre les force de l’ordre ? Et s’ils arrivent enfin, trop tard évidemment, et qu’ils tirent sur tes agresseurs, ça changera quoi pour toi qui as été volée et violée ? Moi, je ferai ce que la police doit faire, mais je n’aurai pas à l’attendre, parce que j’ai mon 357 Magnum dans ma poche. Voilà »

Bref, qu’importe de savoir qui fait justice, du moment que c’est justice : et si la justice passe par la violence, on est en plein dans le droit au lynchage.

Avant de savoir s’il faut renoncer à la violence pour rétablir son droit, il faut donc déjà savoir quelle violence peut être voulue par la loi.

En réalité, la seule violence légale est celle de la loi, qui est postérieure au jugement, et c’est la violence pénale. La police quant à elle n’a pas à être violente, puisque son rôle est simplement d’instruire l’affaire et de présenter le délinquant au tribunal.

--> Mais les partisans de la justice compassionnelle insistent : le droit, c’est le droit des victimes. Qu’importe qu’on terrorise les criminels, si c’est la condition pour qu’ils renoncent à leur projet ?

- En réalité, tout est dans la notion de violence : s’il faut de la violence pour rétablir la loi, il faut aussi que cette violence soit d’un ordre différent de la violence du délit (1). Supposons que la police utilise les mêmes armes et les mêmes méthodes que les criminels (2). Elle justifie par là la violence des particuliers puisqu’on peut fort bien se substituer à elle : a force de vouloir rapprocher la justice des justiciable, on en arrive à leur permettre de faire justice eux-mêmes.

On trouve alors les milices, ou mieux : les Vigilants de San-Fancisco

(1) Sur tout ça voyez Michel Foucault – Surveiller et punir, en particulier le chapitre consacré aux supplices (Le supplice de Damien…Mmmmm !!)

(2) Au XIXème siècle le truand devenu policier (Vidocq, qui inspire le Vautrin de Balzac) accrédite cette idée qu’entre la pègre et la police, il n’y a que l’écart de la loi -

jeudi 20 mars 2008

La douleur, est-ce que ça sert à quelque chose ?

Dans la série "Si la philosophie ne t'aide pas à vivre mieux alors va faire une pétanque" j'ai des questions à vous poser autour de la douleur physique. Des philosophes qui l'ont connue cela ne manque pas je crois. Comment ont-ils fait pour qu'elle n'empêche pas autre chose qu'elle d'advenir ? Plus généralement, la douleur, est-ce que ça sert à quelque chose ?

- J’aimerais avant toute chose distinguer entre la douleur physique et la souffrance morale.

--> La douleur physique est justifiée par les besoins de la survie et si on la fuit, c’est qu’avec sa manifestation on perçoit un danger. Restent que les chrétiens l’ont valorisée comme telle, allant jusqu’à se l’infliger (port du cilice) pour mériter leur salut : en faisant souffrir leur corps ils purifiaient leur âme. Pour les autres, la question est seulement : quelle stratégie avoir devant la douleur ? La fuir, quitte à s’abrutir de calmant, ou bien l’affronter héroïquement ? La philosophie "des sages "engage à cet affrontement (sauf Montaigne peut-être - il est vrai qu’il savait de quoi il parlait)

--> La souffrance morale… Là, Docteur-Philo se gratte la tête. C’est qu’on risque de se perdre dans le dédale des thèses sur son origine, sur sa valeur, sur les stratégies devant la souffrance. Faut-il la négliger comme inessentielle - comme Epicure ? Faut-il en faire le révélateur de l’existence humaine, comme l’angoisse kierkegaardienne ?

Contentons-nous d’une brève analyse.

La souffrance n’est jamais seulement dans l’instant présent. Ou plutôt, si elle n’était que dans l’instant, elle serait douleur plutôt que souffrance ; je veux bien qu’un deuil soit dans l’instant du décès une douleur extrême. Mais la souffrance consistera plutôt à se représenter l’avenir comme décoloré par l’absence de celui qui était là l’instant d’avant.

Alors, certes, la souffrance morale est une épreuve dont on peut espérer sortir grandi, simplement par le fait de sortir d’une épreuve qui aurait pu nous engloutir. Mais faut-il pour autant l’espérer ?

Certains philosophes ont botté en touche : ils disent en gros que la souffrance est la conséquence du notre conscience et que pour ne plus souffrir il faut devenir un pourceau comme Epicure aurait voulu qu’on le soit - selon ses détracteurs. (1)

--> Donc, pour que la douleur n’empêche pas autre chose d’advenir, prenez une aspirine.

Si c’est la souffrance, faites-en un poème.

(1) Tenez, lisez plutôt ce texte de Lavelle.

En elle-même, [le souffrance] est un mal présent et toujours éprouvé dans le présent. Mais elle abandonne toujours l'instant pour remplir la durée. Au lieu de se renouveler, comme la douleur, par les atteintes mêmes qui ne cessent de lui venir du dehors, elle trouve en nous-même un aliment. Elle se nourrit de représentations. Elle se tourne toujours vers ce qui n'est plus ou vers ce qui n'est pas encore, vers des souvenirs qu'elle ranime sans cesse afin de se justifier et de se maintenir, vers un avenir incertain, mais où elle trouve, dans les possibles qu'elle imagine, un moyen d'accroître son tourment. On voit donc que, si le propre de la conscience est toujours de chercher à chasser la douleur, il n'en est pas tout à fait ainsi de la souffrance. La conscience sans doute ne voudrait pas souffrir et cependant, par une sorte de contradiction, la souffrance est une brûlure, un feu intérieur auquel il faut qu'elle apporte elle-même une nouvelle nourriture. Elle n'existerait pas si ma conscience pouvait être réduite tout à coup à un état d'inertie ou de parfait silence intérieur. Il faut que je ne cesse d'y consentir et même de l'approfondir. Pour la même raison, on peut dire que la douleur n'intéresse jamais qu'une partie de moi-même : mais dans la souffrance le moi est engagé tout entier. Louis Lavelle, Le Mal et la Souffrance, Plon, 1941, pp. 86 à 88.

vendredi 14 mars 2008

D’ou vient l’argent ?

D’ou vient l’argent ?

Etrange question, qu’on devine issue d’un lecteur aux fins de mois difficiles : d’où vient l’argent…quand il ne vient pas ?

A moins que ce ne soit en rapport avec les étranges manœuvres de la finance où l’on voit des milliards disparaître en fumée avant même d’exister. D’où vient tout cet argent perdu par la Société Générale, quand on ne savait même pas qu’il existait ?

Docteur-Philo l’avoue : pour lui, une banque c’est un gros coffre fort dans le quel il y a l’argent que les clients y ont déposé. De temps en temps, le banquier y prélève de quoi faire des placements et réaliser des bénéfices pour payer des bijoux à des petites femmes.

Docteur-Philo est un gros naïf… mais il va réagir.

- La question qu’on me pose est une bonne question, parce qu’elle évite les poncifs sur son abstraction

Le problème est en effet plus complexe qu’il n’y parait, parce que l’argent peut très bien exister et disparaître sans qu’on s’en aperçoive. Le coffre de Picsou est vide, ou plutôt ce qu’il contient ce n’est que du papier. L’argent est un élément qui a une réalité physique, mais qui n’existe que dans son rapport à autre chose.

La question qui est posée ici est alors : qu’est-ce que c’est que cette chose avec la quelle l’argent - papier monnaie - est en rapport ?

On connaît la réponse : l’argent vient de l’argent… ou il vient du travail humain.

Donc, deux hypothèses :

- Dans la première, l’argent est spéculatif : il n’existe que dans l’échange, et le cas de Jérôme Kerviel est exemplaire - il n’avait rien perdu (ou presque rien) tant que le PDG de la Société générale n’avait encore rien vendu.

- Dans la seconde, l’argent résulte des marchandises produites par le travail humain ; les richesses accumulées résultent du fait que le travail produit plus qu’il ne consomme (salaires, matières premières, machines, etc).

Maintenant, votre cas de travailleur fauché dont le pouvoir d’achat s’amenuise régulièrement (que fait Notre Président ?) montre que ces deux hypothèses se combinent dans une même réalité : votre travail est productif, votre salaire est spéculatif.

Je développe ? Un peu seulement ? O.K.

--> Votre travail est productif, ça veut dire que votre patron fait des profits grâce à vous. Il vous dit merci et vous enverra sa photo dédicacée pour les étrennes.

--> Votre salaire est spéculatif, ça veut dire que vous êtes payé en fonction de votre rareté sur la marché de l’emploi. Supposez quez plus personne ne veuille devenir balayeur, que même les migrants africains n’en veuillent plus, alors laissez tout tomber et faites vous balayeur : vous allez vous faire des c… en or.

La journée de la femme, à quoi ça sert si ça ne sert à rien ?

Ma question est la suivante: à quoi ça sert d'avoir une journée de quoique ce soit s'il n'y a pas d'actions pour améliorer la situation?
(ex: malgré la journée de la femme elles sont toujours moins bien payé à travail équivalent, et n'accèdent toujours pas aux mêmes postes à responsabilité)

La Boite à questions

Question désespérante, puisqu’elle comporte sa propre réponse : on se doute que parler de changement et ne rien faire pour que ça change, ce n’est pas positif. Depuis que des opérations comme celle-ci existent, on voit bien que les seuls changement opérés dans le destin des femmes relèvent d’autre chose que de ces célébrations pompeuses et ridicules - quand elles ne sont pas devenues simplement invisibles.

Mais, à supposer que ces journées soient conformes à ce qu’en attendent leurs organisateurs, qu’est-ce que nous pourrions espérer ?

La question que Docteur-Philo veut bien entendre, c’est donc la suivante : est-ce que l’opinion peut par elle même faire quelque chose qui ne nécessite pas obligatoirement des décisions des pouvoirs publiques ou des organismes patronaux ?

Contrairement à ce qu’on croit parfois, la condition des femmes change régulièrement dans les pays occidentaux, mais pas forcément en fonction des opérations de relation publique comme celle dont on parle ici. La contraception, l’accès à l’autonomie financière par le travail rémunéré, les études, sont sans doute plus importants pour l’égalité homme-femme que les déclarations politiques. Quant à la parité dans la représentation nationale, elle échappe à notre investigation puisqu’on n’en parle que depuis que la loi s’en est mêlée.

Mais ici, point d’impact de l’opinion.

La journée de la femme, ça ne sert donc à rien ?

Reprenons la question : de quelle journée parlons-nous ? Celle qui vient de se dérouler semblait avoir perdu de vue le destin des femmes, puisqu’en prenant pour blason de sort d’Ingrid Betancourt, on paraissait se désintéresser des femmes en général : qu’y a-t-il à généraliser à partir du sort d’un otage dans la jungle colombienne ?

Si je mets ma toge de philosophe, je dirai qu’au contraire on pouvait voir dans cette action une volonté de montrer l’héroïsme dont cette femme est capable, héroïsme dont la valeur pouvait être exemplaire. Non pas pour dénoncer la dictature des hommes ; mais pour leur montrer qu’étant de la même nature, toutes les femmes peuvent résister aux injustices dont elles sont victimes.

Dans le monde contemporains, les individus naviguent entre l’égoïsme du moi-d’abord et le carcan des lois - genre discrimination-positive.

La Journée de la femme qui met sur son blason Ingrid Betancourt constitue donc un appel au devoir-être, qui passe comme Bergson nous le montre par l’aspiration à la sainteté quotidienne et à l’héroïsme ordinaire.
La journée de la femme : l’appel de l’héroïne.

dimanche 9 mars 2008

Jouer, c'est du temps perdu ?

Jouer, c'est du temps perdu ?

Et vous qu’est-ce que vous en pensez ? Oui, vous qui allez acheter des jouets pour vos enfants, surtout s’ils sont petits - parce qu’après bien sûr ce n’est plus vous qui les choisissez, mais eux.

Inutile de répondre : je sais déjà ce que vous allez dire. Il faut allier le jeu et l’apprentissage, parce que les enfants ont besoin d’apprendre et qu’on peut le faire bien mieux en jouant. Le jeu en tant que tel, est donc du temps perdu. Et d’ailleurs regardons les animaux : le jeu est pour eux l’occasion d’apprendre les comportements de la chasse ; on voit bien que ce sont principalement les prédateurs qui jouent : le chaton qui apprend avec sa mère à capturer une souris déjà un peu estourbie, voici le prototype du jeu.

Les philosophes des Lumières ( de l’Aufklärung devrais-je dire) ont tiré à boulet rouge sur cette conception du jeu : voyez Hegel Principes de la philosophie du droit (1). L’éducation nécessite une rupture, et faire du jeu un élément éducatif, c’est refuser aux enfants de les prendre au sérieux dans leur désir de devenir adultes, c’est donc les rabaisser à n'être que des enfants, et rabaisser à leurs yeux les adultes qui prétendent jouer avec eux.

- J’ajouterai quelque chose, que Hegel ne pointe pas ici - mais sans doute le fait-il ailleurs. C’est l’obsession de l’utilité qui sévit à notre époque. Il faut que tout soit utile, et comme on n’est pas utile sans un objectif précis, le jeu doit être utile pour permettre à l’enfant de réussir dans la compétition sociale où il va s’inscrire inévitablement. On dirait que l’obsession de la visée pédagogique associée à chaque jeu acheté renvoie à cette attitude si amusante des mamans qui font entendre de l’anglais à leur enfant encore dans leur ventre pour qu’il soit dès la naissance conformé à ces sonorités.

Le message de Docteur-Philo est clair et net : le jeu est un moment de liberté et d’invention pour l‘enfant, qu’il soit seul ou à plusieurs. Si l’enfant apprend quelque chose, en jouant, c’est qu’il en a eu besoin pour le libre exercice de son jeu.

A part ça, le jeu n’est par tout, et il y a la contrainte de l’apprentissage. Et comme le dit Hegel, c’est pour eux une façon de grandir (2).

C’est aux adultes que nous sommes de leur donner envie de grandir.

Etre comme papa, et pas comme Peter Pan.

(1) Voici un extrait du § 175 - Remarque

« La pédagogie par le jeu prend déjà l'élément enfantin comme quelque chose qui vaut en soi-même, le donne aux enfants tel quel, et rabaisse pour eux ce qui est sérieux et se rabaisse elle-même dans la forme enfantine, assez méprisée par les enfants eux-mêmes. Dès le moment qu'elle est forcée, en ce qui concerne ces enfants, dans l'état d'inachèvement où ils se sentent, de les représenter plutôt comme finis, et de le rendre en cela satisfaits, - elle dérange et pervertit ce qui est leur vrai besoin à eux, et leur meilleur besoin, et elle produit, d'une part, l'absence d'intérêt et l'esprit borné à l'égard des rapports substantiels du monde spirituel, d'autre part, le mépris des êtres humains, puisque, lorsqu'ils étaient enfants, ceux-ci se sont présentés à eux d'une façon enfantine et méprisable ; enfin elle produit la vanité et la présomption qui se repaît de sa propre excellence ».

(2) « La nécessité pour les enfants d'être éduqués est chez eux comme le sentiment propre d'être insatisfaits en eux-mêmes tels qu'ils sont, - comme la tendance à appartenir au monde des adultes, auquel ils aspirent comme à une réalité plus haute, le souhait de devenir grands. » Idem

samedi 8 mars 2008

Y a-t-il des choses qu’on ne peut pas dire ?

Y a-t-il des choses qu’on ne peut pas dire ?

- Voilà une question à double sens, selon qu’on prendra le verbe « pouvoir » dans le sens de « avoir la capacité » ou bien dans celui de « avoir la permission ».

Je prendrai comme point de départ la première formulation, espérant retrouver la seconde en cours de route.

Avons-nous donc la capacité de tout dire ?

Les sciences humaines sont en désaccord ici : là où la linguistique répond par l’affirmative, la psychanalyse répond par la négative.

Du point de vue linguistique, les langues humaines dans leur diversité doivent permettre de tout dire, entendez : tout ce qui peut constituer un sens, une pensée, et pas uniquement une information. La seule limite est la longueur de l’énoncé nécessaire : sans doute ce qui relève d’une expérience unique requiert une longue explication à l’opposé de la simple allusion pour l’information déjà connue.

Par contre les psychanalystes considèrent que la parole est sous l’influence de la censure et que par là elle n’est pas libre : il y a des choses qu’on n’a pas la permission de dire, et c’est pour cela qu’on est incapable de le faire.

C’est ici que l’on trouve la jonction entre nos deux sens :

- si l’interdit est politique, alors ces deux aspects sont dissociés. Spinoza constatait qu’on ne peut jamais gouverner les esprits comme on gouverne les langues (1). Il en résulte que chacun est toujours en pouvoir de dire ce qu’il pense, si toutefois le pouvoir politique ne l’en empêche pas. Ici, l’interdit arrive trop tard : il porte sur des pensées déjà constituées.

- Par contre on peut imaginer que l’interdit, contrairement à ce que prétend Spinoza, porte sur la pensée qui ne s’est pas encore formée, celle que d’autres peut-être on imaginée, mais qui ont machiné la langue de telle sorte que moi je ne puisse le faire.

Freud avait débusqué ce mécanisme dans le vocabulaire donné aux enfants, dans le quel tous les mots désignant le sexe étaient soigneusement étaient remplacés par ceux qui désignent la fonction excrémentielle : ainsi en allemand, le « fait-pipi » pour désigner le membre du petit garçon- cas du petit Hans dans les Cinq psychanalyses (2).

La jouissance n’existe pas, parce qu’il n’y a pas de mots pour dire ça. Voilà une thèse fort discutable, puisque le Petit Hans comme on l’a dit (note 2) ne se privait pas de se donner du plaisir, mais dont on admettra ici qu’elle suffit pour répondre à noter question :

--> ce qu’on ne peut pas dire, c’est ce qu’on ne sait pas dire ; et c’est alors aussi ce qu’on n’est pas capable de penser.

(1) Par deux fois dans le Traité théologico-politique ch XX, Spinoza cite cette maxime de Quinte-Curce : « On ne commande pas aux âmes comme on commande aux langues ». Voir un extrait de ce texte ici

(2) L’interdit portait aussi sur le tripotage du membre assorti d’une menace de castration : voir une évocation du texte de Freud ici

mercredi 5 mars 2008

Doit-on préférer le bonheur à la vérité ?

bonjour, voilà ma question :
Doit-on préférer le bonheur à la vérité ?

Mario, La boite à question.

Cher monsieur Mario,

voilà une question bien étrange. Vous me demandez de cautionner l’idée que la vérité et le bonheur seraient différents au point qu’il faille soit les accoupler, soit les opposer. Mais au lieu vous interroger, vous faites comme si ça allait de soi.
Mais, Monsieur Mario, si j’étais Platon ou Descartes, je vous répondrais qu’il n’y a pas l’épaisseur d’un cheveu entre la vérité et le bonheur, parce que c’est rigoureusement la même chose. Parce que la vérité, c’est ce qui caractérise la science véritable, et que la science c’est la pâture de l’âme : quel bonheur plus grand que de nourrir son âme ? Qu’est-ce qui pourrait réjouir d’avantage un homme que de connaître la vérité, c’est à dire de progresser dans la science ? Kant estimait que le devoir de dire la vérité était inconditionnel à ce point qu’on n’avait pas le droit de mentir à des assassins à la recherche de leur victime.

On en viendrait donc à l’idée que ceux qui cherchent le bonheur ailleurs que dans la vérité sont des pourceaux (Grouiiiiiink…) qui donnent tout à la jouissance du corps et rien au bien-être de l’âme.

- Oui, mais il y a des gens qui ne pensent pas comme ça, ça dépend des points de vue, chacun voit midi à sa porte, et tout ça…

Stop, je ne veux pas entendre de pareilles objections. Je veux des argument, des arguments lourds et massifs comme un troupeau d’éléphants. Tiens, demandons à la Bible :

« Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur. » Ecclésiaste - 1.18

Ça c’est du lourd, pas de doute. A quoi bon la science si la puissance ne va pas avec ? Vous voudriez connaître avec précision la date de votre mort, sachant que vous ne pourrez rien pour l’empêcher ? Et à quoi bon la puissance si la sagesse ne va pas avec ? Demandez à la Planète ce qu’elle pense des rejets de CO2.

…Allez, monsieur Mario, vous faites pas de bile : servez-vous un autre pastis, et poursuivez votre lectures des Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen

lundi 3 mars 2008

Pourquoi les hommes sont attirés par le pouvoir ?

Pourquoi les hommes sont attirés par le pouvoir ?

La boite à questions

- Première remarque : certains considérerons cette question comme étant saugrenue ; puisque tous les hommes, quand ils désirent quelque chose, désirent directement ou indirectement avoir du pouvoir, alors il est inutile de la poser, parce que c’est un fait originel, qu’il suffit de constater sans avoir la prétention de justifier. Toutefois, c’est aussi une raison pour que le philosophe s’y intéresse.

- Seconde remarque : Machiavel ne se pose pas cette question, du moins dans le Prince. Il s’intéresse à la manière de conquérir ou de garder le pouvoir, et il admet que la possession du pouvoir est une fin qui justifie n’importe quel moyen. Là encore, et même plus encore, il faut se demander en quoi le pouvoir est une valeur ultime, un bien en soi, tel qu’il justifierait tous les moyens.

D’abord, il faudrait se demander en quoi consiste le pouvoir dont nous parlons ici : pris absolument, comme on dit dans les dictionnaires, il s’agit généralement du pouvoir politique, ou du moins du pouvoir exercé sur les hommes. Pourtant son origine et son étendue reste indéterminée ; en témoigne le célèbre passage de la bible : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu, XXII, 21).

Beaucoup de moralistes critiqueront cet appétit de pouvoir, disant qu’avant d’exercer un pouvoir sur autrui, il faudrait en exercer un sur soi-même : la capacité à gouverner les autres suppose une aptitude morale, elle n’est donc pas simplement le résultat d’un penchant, que tous auraient, mais aussi le prolongement d’une capacité, que tous n’ont pas. D’ailleurs Aristote critiquait cette idée qu’il y aurait un penchant universel chez les hommes pour le pouvoir : l’esclave est celui qui ne sait pas se commander lui-même ; il ne devrait donc pas avoir le désir de gouverner. Une cité des esclaves est aussi improbable qu’une cité des femmes.

A supposer que ce penchant puisse exister indépendamment de la capacité (donc en-deçà de la sphère politique) : laissons de côté les deux formulations que nous avons déjà écartées de l’analyse

- C’est une passion première, qui est liée à l’espèce humaine, et donc il n’y a pas lieu de s’interroger sur sa signification, mais seulement de noter son existence.

- C’est la conséquence d’un instinct lié à l’espèce : idem ;

Reste l’hypothèse de Nietzsche : le désir de pouvoir est l’expression de ce qui est le meilleur en nous, c’est donc l’expression de notre volonté de puissance. Nietzsche définit la volonté de puissance non comme la volonté de devenir puissant, mais la volonté qui accompagne la puissance. C’est le faire absolu, celui qui ne s’interroge pas à propos des effets sur autrui de l’acte. Agir n’a d’autre intérêt pour celui qui agit que de donner corps à son vouloir, de l’extérioriser dans un acte, peut-être même pas dans une réalité tangible (1).

L’amour du pouvoir est donc totalement indifférent à la politique entendue comme la passion du Bien Public.



(1) Comme le danseur, dont l'œuvre ne laisse pas de réalité matérielle, subsistant après sa danse

samedi 1 mars 2008

L'Art est-il indispensable ?

Si on aime partir d’une contradiction en voici une :

- Thèse : l’art est indispensable, parce qu’aussi loin qu’on remonte dans la préhistoire les trace de culture sont toujours associée à des éléments décoratifs, et ont produits des oeuvres dons certaines ne dépareilleraient pas nos musées (peinture pariétales - Ici Lascaux)



- Antithèse : L’art n’existe que s’il est dégagé de toute fonction. Or les première représentations humaines ont été associées à des rôles sans doute magiques ce qui exclut la valeur artistique. En témoigne cette « Vénus » de Willendorf : à cette époque, l’art n’existe donc pas.





--> Docteur-Philo affronte la contradiction :

Bien sûr on est encore une fois confronté à des choix hasardeux concernant la définition de la notion envisagée. Avant de répondre à la question est-ce que l’art est indispensable, il faudrait dire : voici comment je définis l’art. Et pour dire ça, il faudrait déjà savoir si l’« art » existe, entendez si l’on peut dire quelque chose qui vaudrait aussi bien pour les arts plastiques, la musique, les arts du corps (danse, mime…), mais aussi la poésie, la littérature, etc… Et en plus que savons nous des arts préhistoriques ? Y a-t-il eu une musique ? Des danses ? Des chants ? De l’architecture ? Des ornements du corps ?

Reconnaissez que les philosophes, avec leurs approximations et leurs généralisations sont ici quelque peu justifiés : on aura du mal à faire mieux.

Alors, juste une thèse, comme ça pour dire qu’on ne reste pas sans rien du tout : celle de Hegel.

Pour Hegel, l’art a une fonction qui le rend indispensable : il spiritualise le réel. Il transpose dans la réalité, par la création de l’objet d’art, quelque chose qui est l’expression de notre subjectivité, c’est à dire une création de notre esprit. Même notre Vénus de Willendorf est une représentation de l’esprit : pour en faire une statuette, il faut la privilégier comme modèle pour les autres.

Mais bien sûr cette vision de l’art le découronne quelque peu : l’invention du marteau, dit Hegel, est plus méritoire que l’art de faire un portrait « ressemblant jusqu’à la nausée ».