vendredi 29 février 2008

Y a-t-il des limites à la liberté d'expression ?

Tiens, une question pour Dr Philo : y a-t-il des limites à la liberté d'expression ?

Par e-mail

Suite de l’e-mail d’une ancienne collègue et toujours amie : [Par exemple], un élève m'expliquait l'autre jour que ce n'était pas grave d'écrire "crève, sale nègre", du moment qu'on ne le pensait pas...

Voilà quelque chose de bien cadré : d’innombrables remarques vont dans le même sens, et on peut les décomposer en deux éléments :

* une opinion est faite de mots, et elle reste opinion tant qu’on ne passe pas aux actes.

* la liberté d’opinion (Déclaration des droits de l’homme, article 10) couvre toutes les opinions, celles qui nous plaisent comme celles qui nous déplaisent.

Alors, c’est vrai, la phrase de notre élève va dans un sens un peu différent : si je ne le pense pas, alors, ça va.

- On répondra : d’abord si tu ne le penses pas, pourquoi le dis-tu ? On devine que c’est une façon de décourager la censure : comment interdire, puisqu’on ne saura jamais ce qu’on pense par devers soi ? Et puis, même si tu ne le penses pas, le fait de le dire, c’est déjà une communication. Tu ne vas pas dans le secret de ta chambre au fond de ton lit, murmurer « Crève sale nègre ». Tu vas le crier dans le jardin publique où tu es entrain de picoler avec tes potes blancs.

- Oui, mais de toute façon, ça reste un droit, protégé par les droits de l’homme.

--> On voit l’inconséquence : pourquoi s’acharner à défendre comme un droit ce qui aurait si peu d’importance, n’étant que des paroles, qu’un peu d’air agité par le mouvement de nos lèvres, une émission de voix (flatus vocis) ?

Si les opinions ne sont pas des actes, du moins sont elles investies de notre intime conviction, parce qu’elle reflètent ce que nous sommes. Et c’est pour ça que nous y tenons tant : elles n’ont pas besoin d’être démontrées comme vérités ; et puisqu’elle sont ce que nous sommes, on ne peut les critiquer sans nous porter atteinte en même temps.

- Voilà : ne serait-il pas injuste de condamner au silence cette part de moi même qui cherche à s’exprimer ? Après tout, ça ne regarde que moi.

- Si tu dis : « Je n’aime pas les épinards, mangez-en tant que vous voulez, mais ne me forcer pas à en faire autant.», alors O.K. Mais, on voit bien que celui qui crie « Crève, sale nègre », ne se contente pas de dire : « Je crie ça, mais vous faites ce que vous voulez ». C’est tout simplement un appel au meurtre.

Là dessus, Sartre a écrit des choses assez définitives (encore qu’il faille toujours les rappeler) :

« Je me refuse à nommer opinion une doctrine qui vise expressément des personnes particulières et qui tend à supprimer leurs droits et à les exterminer. […] L’antisémitisme ne rentre pas dans le catégorie de pensées que protège le Droit de libre opinion. » Sartre - Réflexions sur la question juive, p.10

jeudi 28 février 2008

Peut-on être maître de nos goûts - c'est-à-dire les choisir ?

Voilà une question difficile. Parce que la maîtrise de nos goûts (sur la définition des quels il faudra s’entendre), suppose en effet que nous les ayons choisis d’une façon ou d’une autre, ce qui suppose aussi que nous puissions nous imaginer originellement neutre, sans aucune préférence pour préconditionner notre choix, afin de nous doter en toute liberté de toutes ces orientations au cours de notre vie.

Or, aussi loin que nous remontions dans notre passé, nous nous trouvons toujours déjà dotés de certaines préférences, et comme par hasard ce sont celles-là qui nous paraissent les plus essentielles, et qui orientent le choix de toutes les autres. Même si nous affectons de nous identifier à elles au point de nous en dire maîtres parce que lorsque nous sommes nous-mêmes, nous sommes aussi maître de tout ce qui constitue notre être, le problème de leur origine reste entièrement posé.

Je dirai que la réponse passe par l’élucidation de notre histoire personnelle.

- Les doctrines de la réincarnations, des religions orientales à Platon font de nos goûts quelque chose dont nous n’avons plus la maîtrise, entendez qu’on ne peut en changer, mais dont pourtant nous sommes responsables, puisque c’est la conséquence de ce que nous avons été (karma) ou d’un choix antérieur à notre vie actuelle (Platon).

- Chez Kant le caractère intelligible, comme chez Sartre, le choix fondamental, rend compte à la fois de cette incapacité à justifier nos inclinations et du fait que pourtant elles impliquent absolument ce que nous sommes. Nous sommes au niveau du postulat philosophique, comme à chaque fois qu’on arrive à un principe premier. Ce que nous faisons par libre choix nous exprime totalement et pourtant rien ne nous permet de reconstituer le moment où avons commencé d’être ce que nous sommes.

- Selon Freud, nos inclinations, nos goûts relèvent de notre histoire personnelle, telle que l’analyse pourra éventuellement la restituer. Selon la civilisation, selon l’époque, selon les personnes qui nous entourent à notre naissance, des potentialités différentes de l’être humain parviennent à s’exprimer alors que d’autres sont impitoyablement refoulées. Tous nos choix conscients sont conditionnés par nos premières expériences : le bien et le mal, le permis et le défendu, la jouissance et la souffrance, tous ces éléments qui orientent nos choix sont liés à un vécu infantile inaccessible à notre conscience. Notre croyance en notre liberté n’est en fait que le résultat de cette ignorance.

On ne choisit pas ses goûts, ils ne sont pas non plus génétiques - ils sont historiques.

mercredi 27 février 2008

Comment peut-on faire le deuil de quelqu’un ?

Faire le deuil de quelqu’un n'est-ce pas aussi faire le deuil d'une partie de soi ? Ou est-ce simplement le chagrin qui devient supportable, une question de survie en quelque sorte ?

La boite à questions

La question est intéressante dans la mesure où ce qu’on interroge, ce n’est pas le deuil mais le travail de deuil, où si l’on préfère la raison pour la quelle on sort de cet état. On dit que la vie continue, qu’elle reprend ses droits … : mais qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi le deuil est-il si douloureux ? Et comment dans ces conditions parvenons-nous à lui survivre ?

--> Freud a consacré un article à la question sous le titre Deuil et mélancolie (1). Nous le suivrons quelque temps.

D’abord, essayons de regrouper le deuil avec d’autres événements psychiques. Il s’agit de la réaction à la perte d’un être aimé, qui peut être selon les cas, consécutif à sa mort, ou à une rupture. Dans le cas du deuil cet événement est irréversible : le mort, c’est d’abord une place vide dans la maison, autour de la table, quelqu’un dont on n’entendra plus le pas franchissant le seuil. Et c’est cela qui entraîne une souffrance considérable (2).

Selon Freud, la souffrance que provoque la mort vient de la perte de l’objet aimé, la libido (3) perdant ainsi ce vers quoi elle s’orientait dans la réalité. Si l’on dit que faire son deuil c’est faire le deuil d’une partie de soi-même, c’est qu’il y a identification entre notre libido et son objet : irremplaçable, et donc plus jamais nous n’aimerons comme nous avons aimé. La réussite du travail de deuil ne vient donc pas de l’abandon de cette part aimante de nous-mêmes, mais bien de son réinvestissement sur un autre objet : il faudrait même ajouter qu’un refus d’aimer à nouveau serait la preuve que le travail de deuil reste inachevé.
Pour se résumer, le travail de deuil est douloureux justement parce qu’il impose un déplacement de la libido d’un objet à un autre ; on pourrait même dire qu’accepter de reconnaître la mort de l’être aimé, c’est effectuer ce déplacement, et non pas se mutiler d’une part de soi-même.

En attendant, il faut admettre aussi, qu’effectivement, faire son deuil, c’est une question de survie. Non seulement parce que la mort des autres est le signe de notre propre mortalité (4) ; mais aussi parce que, Freud le dit sans ambages, nous sommes placés devant l’alternative entre partager le destin du mort (le suivre dans le tombeau, comme la femme du Roi Renaud), ou donner la préférence à nos satisfactions narcissiques et « rompre la liaison avec l’objet anéanti » (Freud - p. 168). Il y a bien sûr une occasion de conflit dans notre moi entre la fidélité au mort - qui voudrait qu’on le suive dans le tombeau, et l’attrait pour la vie qui nous commande de l’oublier - c’est à dire de répondre aux appels de la réalité.

--> Le point de vue de Freud choque peut-être : pourquoi prétendre qu’on ne peut survivre qu’à condition d’oublier ? Pourquoi ne pas admettre qu’on peut adoucir la souffrance sans remplacer le disparu ? Pourquoi la célébration les morts ne suffirait-elle pas à apaiser la souffrance vie survivants, sans les détourner de leur souvenir ? Bref, le culte réglé et paisible des morts ne suffit-il pas à montrer qu’on n’a pas rompu la liaison que nous avions avec eux ?

Posons autrement la question : qu’est-ce qui reste du mort, une fois le travail de deuil accompli ? C’est là que Freud abandonne la partie. Et nous dirons que le souvenir qui est au fond de nous n’est pas rien, que si on a désinvesti la réalité de notre attachement au disparu, ce n’est pas pour autant que nous avons perdu tout intérêt pour lui. On sait que les Grecs considéraient la renommée comme la seule véritable immortalité, celle en tout cas qu’on pouvait espérer. C’est en ce sens qu’Homère est immortel.


(1) Publié en appendice à la Métapsychologie chez Folio/Essais. Par la mélancolie, Freud envisage un état dépressif avec une forte auto dépréciation de soi-même.

(2) On analyse classiquement le deuil selon 3 moments : la dénégation (« non il n’est pas mort, il va me téléphoner dans un instant… »). Puis avec l’acceptation du décès, la surévaluation du disparu (« un être aussi exceptionnel irremplaçable… »). Et enfin, acceptation et reprise de la vie quotidienne.

(3) Par libido, on entendra une pulsion qui finit par devenir sexuelle, mais qui ne l’est pas nécessairement au sens précis du terme

(4) Voir la citation de John Donne : Ne demande pas pour qui sonne le glas : il sonne pour toi
(Voir mon Post du 19 août 2006). A noter qu’il s’agit ici de la mort de n’importe qui et pas seulement d’un être aimé.

lundi 25 février 2008

A quoi ça sert, la honte ?

De quoi devrait-on ou ne devrait-on pas avoir honte ? Et finalement, à quoi ça sert, la honte ?

La boite à questions

Il y a deux idées ici :

* d’abord, l’idée qu’il y a des actes honteux par eux mêmes, dont on devrait avoir honte dès qu’on les commet.

* Et ensuite que la honte remplit une fonction qu’on peut définir.

--> Sur la première idée, on pensera à Sartre dont les pages de l’Etre et le néant sur la honte sont déterminantes dans le développement de sa thèse sur la conscience.

Sartre dit : on n’a pas honte tout seul ; on n’a honte qu’en présence d’autrui, sous son regard. Si nous avons honte tout seul, c’est simplement parce que nous nous imaginons regardé, voire même parce que notre surmoi a intériorisé le regard d’autrui (Dieu te regarde…). Tous les arguments présentés pour accréditer qu’il y a du honteux en soi, renvoient en effet à mythe du péché originel : la première manifestation de la honte a lieu lorsque Adam se cache pour ne pas se montrer tout nu devant son Créateur, parce qu’il a découvert ce qu’était le Bien et le Mal (connaissance morale = fruit défendu). A noter qu’ici ce n’est pas un acte qui est honteux ; c’est le corps : Adam a honte de montrer ses « parties honteuses ». Mais comment avoir honte de ce que l’on est sans l’avoir fait ? Bref, tout cela ne se tient pas sans le mythe, et on a fabriqué des armées de névrosés avec ça.

- Reprenons la thèse de Sartre : la honte c’est la découverte de soi-même comme objet.
Rappelons l’exemple pris dans le texte évoqué : supposons que je sois entrain de regarder par le trou d’une serrure. Voici que j’entends des pas derrière moi : on me regarde. Je ne sais pas ce que pense de moi celui qui est arrivé, peut-être va-t-il me dire « tu n’es qu’un vilain curieux », peut-être va-t-il me dire « pousse toi de là que je regarde aussi ». Voici ce qui compte réellement : la honte est la découverte que, pour lui, je suis identifié à mon attitude, penché sur la porte, l’œil collé à la serrure. Mon intention, le flux de mes sentiments il ne les connaît pas ; il n’en a que faire. Dans l’instant je suis totalement identifié par mon attitude. C’est ça être un objet, et c’est la découverte que je fais par la honte. Ma conscience, qui ne s’éprouvait jusque là que par le vécu intime de la subjectivité, découvre maintenant qu’elle existe aussi dans son rapport aux autres, et que dans ce rapport elle n’est qu’un objet : elle a donc aussi une couche « objective ».

--> Sur la seconde idée, je crois qu’on peut conclure plus rapidement. Et certes, la honte n’est pas seulement une expérience de soi-même comme objet ; elle est aussi un sentiment moral, ou plutôt elle est la sanction de la faute, celle qui avertit qu’on vient de franchir la ligne blanche (1). Il faut faire croire que le désagrément d’être vu - dont on vient de parler - est corrélatif d’une faute.

La honte est donc une manipulation de la conscience d’autrui : je te regarde, je te juge sur ton attitude qui me prouve que tu n’es rien d’autre que ce que tu me parais être.

La honte c’est les autres, et les autres c’est l’enfer (voir la mise au point de Sartre sur Huis-clos)

(1) Selon Kant, le respect est le seul sentiment moral : il s’agit de l’expérience de l’abaissement de notre moi en présence d’une valeur qui nous dépasse. Or le respect ne suppose pas une attitude ni une activité particulière, même s’il nous invite à agir en fonction du Bien.

vendredi 8 février 2008

Quelle différence y a-t-il entre l’homme et l’animal ?

Est-ce qu'en philosophie, on a une idée de ce qui fait la spécificité de l'humain (par rapport à l'animal) ? Parce qu'apparemment, la science peine à trancher la question...

La boite à questions

Alors, on va commencer par le commencement : Adam a été créé par la réunion de deux éléments : de la terre - glaise sans doute - pour fabriquer le corps (qu’il a en commun avec les animaux); et le souffle de Dieu, insufflé dans ses narines pour l’animer. Le souffle de Dieu, c’est l’âme ; comme élément divin, elle est incorruptible et immortelle, et seul l’homme en bénéficie. Voilà donc une première distinction. Son problème est d’être très vague : qu’est-ce donc exactement que l’âme ?

Mais très vite on a voulu une définition plus scientifique : en procédant comme font les classifications zoologiques, on définit l’homme par le genre au quel il appartient, et on ajoute la différence spécifique qui permet de distinguer l'espèce du genre entier. Ici on arrive à la définition bien connue : l’homme est un animal (=genre) raisonnable - c’est à dire doué de raison - (=différence spécifique). Le problème c’est que si un homme perd la raison, qu’il devienne fou par exemple, alors en toute rigueur, il cesse d’être un homme et on peut lui faire subir le sort qu’on réserve aux animaux.

Aristote s’en est mêlé, et reprenant cette méthode de définition, il a proposé de dire que « l’homme est un animal politique », entendez qu’il est le produit de la cité (=polis) où il a grandi, qui lui a inculqué les coutumes, les lois à respecter, les Dieux à honorer, etc. Ici encore, on peut cesser d’être un homme en cessant de partager la vie de ses semblables «(« l’homme qui vit seul est un monstre ou un dieu » dit-il en substance).

On a multiplié ces définitions, en prenant la différence spécifique tantôt comme un indicateur de l’origine de l’humanité (comme ci-dessus), tantôt comme un simple élément discriminant : homo economicus, homo ludens, etc... L’inconvénient de ces définitions est qu’elles permettent n’importe quoi, comme l’ont montré certains philosophes athéniens qui auraient défini l’homme comme un « bipède sans plume » - Diogène le Cynique arrive alors dans leur école et lance un poulet plumé au milieu de leur assemblée en criant : « voici l’homme ! »

Plus proche de nous, certains comme Descartes ont fait de la possession du langage le caractère spécifique de l’humanité : comprenons par langage non pas un système de signes permettant la communication, parce que ça il est évident que les animaux en disposent, mais des symboles évoquant en leur absence des choses ou des idées. Signe de la pensée, le langage est le critère le plus facilement observable de l’humanité (1).

Pour ma part, je préférerai la critère proposé par Rousseau (2) : il s’agit de la perfectibilité terme qu’il crée pour la circonstance, et qui caractérise la possibilité pour l’être humain d’évoluer de générations en générations, ce qui fait que le petit d’homme qui naît aujourd’hui, tout en étant biologiquement identique à l’homo sapiens d’il y a 100000 ans, sera bien différent pour tout le reste. On voit que la culture et l’histoire sont ici des manifestations de cette perfectibilité, et que l’animal en étant dépourvu, reste identique à ce que veut son espèce.

- Mais pour finir, disons qu’il est aussi bien tentant de gommer les différences de l’homme à l’animal, et donc de comprendre l’homme à partir de l’animal : ce que font les éthologues.

Ce que faisait déjà très bien Charles Le Brun (celui du château de Versailles) (voir d'autres planches)


(1) L’acquisition de signes du langage des sourds par certains singes - signes qu’ils n’utilisent jamais dans leur milieu naturel sauf à avoir subi ce dressage - montre non pas que les animaux disposent du même langage que nous, mais que la frontière qui nous sépare d’eux est plus perméable qu’on ne le croit. Au quel cas, c’est la volonté de se démarquer absolument de l’animal qui est suspecte : ce qu’on savait déjà depuis Darwin.

(2) Discours sur l’origine et les fondement des inégalités parmi les hommes - 1ère partie
« Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'est la faculté de se perfectionner; faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu'elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n'a rien acquis et qui n'a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l'homme reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? »

mercredi 6 février 2008

Pourquoi rit-on ?

Pourquoi rit-on ?

La boite à questions

Après avoir renvoyé à mes Post de La citation du jour (1), je me bornerai à évoquer Bergson dont le petit livre a constitué longtemps son seul ouvrage connu du grand public (2).

Bergson, après avoir pris les précautions d’usage - disant que le sujet, s’il n’a pas été épuisé par les plus grands philosophes qui depuis Aristote se sont acharné à le traité, c’est qu’il était inépuisable - en conclut qu’il ne faut pas traiter la question du « pourquoi » mais celle du « de quoi » : qu’est-ce qui est risible.

Mais rassurez vous : tout est dans tout. Le « de quoi » éclaire le « pourquoi ».

- Exemple donné par Bergson : voici un homme qui glisse sur le trottoir ; pantin désarticulé, il esquisse un improbable pas de danse avant de s’affaler de tout son long : on éclate de rire. Peut-être s’est-il fait mal ? Peut-être regretterons-nous dans un instant d’avoir rit. Mais qu’importe : le rire est cruel ; il suppose l’anesthésie du cœur ; même idiot, il s’adresse à l’intelligence pure (p.11).

--> Il y a donc des rires idiots, et c’est de ceux là qu’il convient de se poser la question : pourquoi rit-on ?

Réponse de Bergson : c’est que le rire est la revanche de l’intelligence sur la vie. Il est le moment où le corps est redevenu une mécanique soumise à la pesanteur, perdant la grâce du mouvement volontaire, celui qui lance l’action dans la vie. Le rire est donc une sorte d’instinct qui nous échappe, dont le sens reste ancré dans le tréfonds de notre nature, dont il révèle la dualité (3). La philosophie bergsonienne se repaît de cette distinction. Le rire n’est autre qu’une confirmation de ce qu’il découvre dans l’évolution de la vie, dans l’existence de la conscience, dans le rapport entre les sociétés, dans la morale, dans la religion …

Le problème, c’est que l’exemple utilisé par Bergson fragilise son exposé : ce qui est vrai de comique de situation l’est il du comique d’expression (comique de mot) ? Et du comique de caractère ? Je laisserai le lecteur se reporter à l’ouvrage de Bergson (Chapitres 2 et 3).

Je dirai simplement que le comique de répétition - largement utilisé par ceux dont le métier est de faire rire un public chaque jour - est en rapport avec cet aspect mécanique. Mais peut-être sommes nous dans une autre mécanique : celle du corps, où le spasme l’emporte sur l’esprit. C’est le fou rire, le rire dénué de sens, rire dont on ne peut dire pourquoi on rit.

J’entendais un comique - très déçu - dire : « Je suis arrivé sur scène ; j’ai dit au public qu’il m’avait manqué parce que j’avais été longtemps sans faire de spectacle. Le public à rit. »

(1) Voir ici

(2) Bergson - Le rire Essai sur la signification du comique (à télécharger ici)

(3) L'intelligence qui entraîne la répétition et la vie qui est évolution, innovation

lundi 4 février 2008

Vérité objective ou vérité subjective ?

J'me demandais, au cours d'une de mes errances spirituelles, si la vérité existe objectivement ou si elle n'est jamais que subjective ?
D'avance merci des lumières que vous pourrez m'apporter.

La boite à questions

« les Philosophes ont employé le mot [de vérité] pour désigner l’accord ou le non-accord d’une idée avec son objet ; ainsi, l’on appelle idée vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même ; fausse celle qui montre une chose autrement qu’elle n’est en réalité » disait Spinoza. Autrement dit, l’expression « vérité subjective » ne signifie rien, puisqu’elle suppose l’accord avec l’objet alors qu’ici elle serait déterminée par le sujet.

Vous me suivez ? …On va prendre des exemples, c’est plus cool.

Vous vous levez de mauvaise humeur - c’est une hypothèse fictive, je vous l’accorde - il pleut et les températures sont en chute libre. Les infos vous annoncent que l’indice des prix du pétrole est encore entrain de flamber. Vous voilà entrain de maudire les émirs du Golf, alors même qu’ils ne sont sans doute pour rien dans cette situation. Voilà quelque chose dont la vérité n’est pas objective en ce sens que votre énoncé n’est pas du tout pertinent concernant les cours du pétrole, mais en revanche, ça nous dit quelque chose de votre état d’esprit. Votre opinion subjective, devient une vérité objective - à condition il est vrai d’être interprétée, et ramenée donc à un autre objet.

Maintenant, la question qui reste est : « A quelle condition pouvons accéder à une vérité objective ? ».

Ici Docteur-Philo tremble du haut de sa chaire. Car à moins de convoquer Kant - et c’est sûr qu’il viendra avec sa Critique de la raison pure (1) sous le bras, on ne voit pas comment s’en tirer. Deux petites idées, et puis si d’autres Docteur-Philo traînent dans les parages, qu’ils prennent la parole.

- D’abord, la vérité objective supposerait qu’existe le « point de vue de Sirius » : Sirius étant une étoile fort éloignée, pour être objectif il faudrait qu’on trouve une perchoir éloigné comme cette étoile pour examiner les choses en extériorité. Donc, vu que ça n’existe pas, on est plus ou moins amené à donner une vision particulière, espérant que l’addition des plusieurs de ces points de vue finiront par restituer la réalité vue de partout - donc « objective ».

- Ensuite, peut-être que le contenu subjectif de la vérité peut être dépisté et neutralisé. Voyez la révolution copernicienne (encore Kant) : pour expliquer les mouvements apparents du soleil et des étoiles, Copernic supposa que ces apparences s’expliquaient par le mouvement de l’observateur et non par celui de l’objet observé. De la même façon, pour aller de l’apparence -subjective à la réalité -objective, il faut procéder au décentrement du sujet, ou au moins à l’analyse de ses effets.

Plus facile à dire qu’à faire…

… à moins de déclarer que faute d’accéder à la vérité, la position du sujet nous ouvre la dimension du sens - de la signification. C’est déjà quelque chose.

(1) Non il ne s’agit pas de la trique de la maison dure… Vos potes au collège, ils vous ont blagué.

dimanche 3 février 2008

Existe-il une société parfaite?

Existe-il une société parfaite? Et si oui, y a-t-il des billets d'avion pas trop chers pour y aller?

La Boite à Questions

Chère correspondante je crois comprendre que vous ne croyez pas possible de répondre que la société parfaire existe et qu’elle est ici même - de telle sorte qu’il serait inutile de prendre l’avion pour s’y rendre.

Une société parfaite serait-elle donc tributaire des palaces sans moustiques, des plages sans requins et des cocotiers sans serpents ?

Bien sûr que non : la société parfaite a toujours été revendiquée par les Révolutionnaires, l’avenir radieux y est assuré, avec la paix etc. Mais qui donc peut nous en assurer la possession ?

Les philosophes se sont ingéniés à rendre la société meilleure et ils ont inventé des utopies dont la réalisation s’est révélée fort heureusement impossible : la société parfaite n’existe pas et n’existera jamais, parce que la perfection est ici impossible, vu qu’elle supposerait une société qui règle à l’avance tous les conflits possibles et imaginables entre elle et les hommes qui y vivent. Imaginez le carcan de règles et de lois, les policiers et les mouchards qu’il faut pour arriver à ça…

Inutile donc de faire la révolution, ni d’aller vivre dans un pays qui l’a déjà faite. Ça ne serait pas mieux.

- Alors, à quoi ça sert d’avoir des philosophes si tout ce qu’ils savent répondre c’est ça ? Hein ?

- Tranquillisez-vous : les philosophes, ça sert à déplacer les questions, c’est à dire à les poser de telle façon qu’ils puissent y répondre.

Voici donc la question qu’il fallait poser pour que Docteur-Philo sache quoi répondre : comment mener une vie « parfaite » dans une société qui ne l’est pas ?

Et là les réponses, il y en a.

Le plus simple est de dire qu’on peut se retirer loin de la société, se faire ermite.

On peut aussi plus simplement éviter les casse-pieds, c’est à dire les soucis politiques. Voyez Epicure : Il faut se dégager soi-même de la prison des affaires quotidiennes et publiques. Puisque qu’on n’a rien à espérer de nos hommes politiques, oublions-les.

Les plus honnêtes de nos hommes politiques sont ceux qui nous montrent qu’ils vivent comme nous avec les mêmes problèmes et les mêmes joies que les nôtres. Qu’ils se marient, et qu’ils nous oublient un peu.